Quelques années après leur cuisante défaite au Vietnam où ils voulaient importer la démocratie et la liberté en endiguant le communisme, les Etats-Unis s’étaient rendu compte que le Vietnam était devenu paradoxalement un des pays les plus américanophiles grâce à Hollywood. Là où les Marines avaient lamentablement échoué, le cinéma en particulier et la culture en général avaient réussi. C’est sur ce genre de constats que Joseph Nye développera sa notion de soft power. Toute chose étant égale par ailleurs, l’Afghanistan risque de connaître la même histoire parce que le ver de la liberté est déjà dans le fruit des Talibans.
La débandade des populations vers l’aéroport de Kaboul et les pays voisins montre qu’en vingt ans, les Afghans ont pris goût à la liberté. Faire goûter la liberté et la démocratie aux Afghans n’a jamais été l’objectif des Américains. Cette liberté dont les Afghans ont joui pendant 20 ans n’est qu’un effet collatéral de l’objectif principal : traquer Ben Laden et éradiquer Al Qaeda dans le pays. Depuis la liquidation de Ben Laden en 2011, l’objectif principal était atteint.
Le Président américain Joe Biden n’a fait que renouer avec le réalisme en rappelant aux Afghans que l’objectif de leur présence n’était pas la démocratisation du pays ou la défense de la liberté, mais bel et bien la traque d’Al Qeada et de ses réseaux. Et à partir du moment où il a obtenu la garantie des Talibans (qui en ont payé en tribut leur alliance avec Ben Laden), les Américains pouvaient fermer la page de leur plus longue guerre. Ce n’est ni une défaite ni une capitulation, mais un accord pour mettre fin à 20 ans de guerre sur le dos du gouvernement, et des populations afghanes, qui vont comprendre que la liberté ne se donne pas sur un plateau d’argent ou doit être protégée par des chars américains.
Le départ des Américains marque aussi le début du combat des Afghans pour la liberté. Même les Talibans, devenus plus souples, l’ont compris. L’Afghanistan de 2021, après 20 ans de démocratisation et de liberté, n’est pas l’Afghanistan des années 1990 du Mollah Omar. La tâche des nouveaux maîtres de Kaboul ne sera pas facile. La plus grande menace ne viendra plus de l’extérieur lointain comme les Etats-Unis, ou même proche (Pakistan, Iran ou Inde), mais de l’intérieur avec des Afghans qui ont pris goût à la liberté et qui ne vont plus accepter le barbarisme et l’obscurantisme à huis clos comme dans les années 1990. Déconnecter le pays du monde est devenu impossible et les Afghans vont vouloir que leur pays devienne comme les démocraties musulmanes voisines, comme le Pakistan ou l’Iran.
Ce retrait sans gloire, mais plein de réalisme des Américains, a sorti du placard de l’histoire le classique de l’Allemand Oswald Spengler sur le déclin de l’Occident. En fait, nous assistons plutôt à l’enterrement des théories de Fukuyama sur la fin de l’histoire. Ce retrait ferme la page de l’ingérence triomphante consécutive à la chute du mur de Berlin. En d’autres termes, l’Occident veut toujours universaliser ses valeurs, mais plus aux prix de guerres qui ne vont avoir lieu que pour des intérêts vitaux. La démocratie en Afghanistan n’est pas un intérêt vital pour les Etats-Unis.
Yoro DIA – yoro.dia@lequotidien.sn