Le Sénégal est tellement proche du Mali qu’on a été un même pays dans le cadre de la Fédération du Mali. Quand le Mali tousse, le Sénégal éternue. C’est pourquoi je consacre souvent ces lignes au Mali, qui n’a jamais été aussi mal en point. Le Mali est en train de perdre la guerre contre les jihadistes en ignorant une donnée fondamentale dont les jihadistes ont fait leur plus grand allié : le temps. Le temps, cet allié si puissant qui a permis au Talibans, grâce à l’usure, de venir à bout de la force expéditionnaire américaine. Le temps qui a permis au Viet Minh de venir à bout des Français lors de la première guerre du Viet Nam (une guerre de décolonisation) et de la deuxième guerre du Viet Nam (guerre froide) contre les Américains.
Les Maliens se sont appropriés leur passé glorieux avec Soundiata, Kankan Moussa, d’où leur si grand orgueil. Mais il est temps qu’ils s’approprient aussi le grand enseignement de Saint Augustin, l’évêque d’Hippone (devenue Annaba en Algérie) qui nous apprend que «le temps ne chôme pas». Et à Bamako, où l’on va de transition en transition et de coup d’Etat en coup d’Etat, on ne semble pas avoir compris que le temps joue contre l’intégrité du Mali, et même contre la survie du Mali.
Les jihadistes qui ont compris «qu’il ne faut jamais interrompre un adversaire qui se trompe», comme dit Napoléon, se contentent d’observer les combats fratricides à Bamako, qui leur facilitent la tâche, car à ce rythme, le Mali va tomber tout seul. Heureux comme les jihadistes au Mali, qui sirotent tranquillement leur thé dans le désert, en attendant que par lassitude, l’Onu plie bagage, ou, par alternance politique ou par une exigence de l’opinion, que la France se retire, alors que Bamako aura fini de s’épuiser dans des luttes politico militaires.
Le Mali est en train de perdre la guerre en négligeant la donnée la plus fondamentale du conflit : le temps. Bamako aurait dû, dès le début, profiter de la présence du parapluie international pour reconstruire son armée, et se préparer à faire face après le départ de la force expéditionnaire. Contre tout bon sens politique ou militaire, le Mali a fait l’inverse. Ce qui fait que depuis près de dix ans, le pays n’a jamais été aussi instable politiquement, et son armée très politisée, n’a jamais été aussi faible car les militaires, au lieu de veiller sur l’intégrité du territoire, veillent sur celle de leurs prébendes à Bamako.
Autant le coup contre Ibrahim Boubacar Keïta pourrait être qualifié de coup d’Etat militaire, autant celui contre Bah Ndaw est un coup politicien, qui montre que le Mali vient de rejoindre le club des pays comme l’Algérie et la Guinée Bissau, où «l’armée a son Etat», alors que dans un pays normal c’est l’Etat qui a son armée.
Le Mali vit une situation dramatique qui résulte de l’écart abyssal entre la gravité de la situation du pays et l’insouciance des élites politiques et militaires maliennes. Comme Néron, qui jouait de la musique pendant que Rome brûlait, Bamako fait du grand Soumou politique alors que le Mali se meurt à petit feu.

Yoro DIA – yoro.dia@lequotidien.sn