Balises – Des murailles de la méfiance aux ponts de la confiance

Par Yoro DIA
– En 1989, le Sénégal était au bord de la guerre avec la Mauritanie. Le Sénégal est intervenu militairement en Guinée-Bissau en 1998 avec l’opération Gabou, officiellement pour empêcher un putsch contre un régime démocratiquement élu, mais officieusement pour empêcher aux parrains du Mfdc de prendre le pouvoir. En Gambie, le Sénégal s’est engagé militairement plusieurs fois pour empêcher aux rebelles de Kukoi Samba Sagna de renverser le Président Diawara, et ensuite pour virer Yahya Jammeh, le Néron de Banjul. Il n’est point besoin de revenir sur les relations exécrables entre Léopold Sedar Senghor et Ahmed Sékou Touré, sans oublier l’éphémère Fédération du Mali entre le Sénégal et le Soudan français.
Notre premier Président, Léopold Sedar Senghor, était le théoricien de l’unité africaine par cercles concentriques, et on le voit, pendant très longtemps, notre premier cercle était un «cercle de feu», avec des relations très difficiles avec notre voisinage immédiat. Ce «cercle de feu» est en train de se transformer en cercle de paix et bientôt, en cercle de prospérité. La Mauritanie, où s’est rendu le Président Macky Sall, pour une visite d’amitié et de travail, est en train de redevenir une de nos plus grandes alliées dans la sous-région, alors que la Gambie et la Guinée-Bissau sont devenues nos meilleures amies.
On est tellement proche du Mali qu’on a constitué le même pays au temps de la Fédération. Pour la Guinée, les relations historiques et culturelles entre les deux pays sont beaucoup plus fortes et plus transcendantes que le Don quichotisme de Alpha Condé, encore aveuglé par ses frustrations contre ses collègues étudiants sénégalais bien avant les indépendances. Si le «cercle de feu» qui entourait le Sénégal est devenu un cercle de paix, c’est grâce à deux postulats : les démocraties ne se font pas la guerre, et encore moins deux pays qui sont liés par le business.
Avec la Mauritanie, le pétrole et le gaz que nous partageons nous éloignent des années noires de l’antagonisme et de la suspicion. Le pétrole et le gaz relèguent à l’arrière-plan la question des licences de pêche et les querelles entre villages frontaliers. La Mauritanie fait tout pour que le Sénégal intègre le G5 Sahel. Pour la Gambie et la Guinée-Bissau, c’est plus la démocratisation que le business qui a pacifié nos relations, au grand dam du Mfdc, qui n’a jamais été aussi faible et anachronique, parce que militairement il n’a jamais été aussi faible et n’a plus de base de repli ni en Gambie ni en Guinée-Bissau.
C’est ce climat de paix et de confiance entre démocraties qui fait que les ponts de Farafegny et Rosso remplacent les camps militaires et les bataillons. Les intellectuels africains, surtout ceux qui se disent panafricanistes, perdent beaucoup de temps à dénoncer le Congrès de Berlin (comme si le Congrès de Vienne de 1815 n’avait pas «retracé» les frontières de l’Europe, après celui de Westphalie), qui a tracé des frontières artificielles en Afrique, comme si notre continent en avait le monopole. La frontière est une donnée universelle de l’histoire. Il y en a sur tous les continents. Celle entre le Sénégal et la Mauritanie sépare des Toucouleurs, comme celle entre la France et l’Espagne sépare des Basques, ou celle qui en Amérique, sépare les Latinos mexicains et américains de part et d’autre du Rio Grande.
Aujourd’hui, intellectuellement et politiquement, la meilleure réponse à donner au Congrès de Berlin est le pont de Rosso ou celui de Farefegny, qui permettent de corriger les injustices et les tragédies de l’histoire, comme l’ont fait les Européens après la deuxième guerre mondiale, en substituant le business à la guerre comme mode de régulation de leurs relations. Conséquence, l’Europe, le continent des guerres mondiales, de la guerre des religions, vient de connaître la plus longue paix et la plus grande prospérité de son histoire. Le panafricanisme, ce n’est pas perdre du temps à repenser Berlin, mais de bâtir des ponts et rendre les frontières obsolètes.
yoro.dia@lequotidien.sn