Aussi paradoxal que cela puisse être, au pays de Google, de Microsoft, d’Apple, de Facebook et du Nasdaq, c’est la Poste (United states postal service) qui a été au centre de l’élection avec le vote par correspondance. Naturellement, cela paraît archaïque et anachronique en 2020, dans un pays qui a inventé internet et qui est à la pointe de l’innovation, de nouvelles technologies et qui a donné au monde le plus de prix Nobel. Comment la Poste, qui dépérit partout depuis l’avènement d’internet, peut-elle être encore au cœur des élections américaines ? La raison est simple. C’était une façon traditionnelle de voter dans ce pays immense, où les pères fondateurs ont compris que toute institution humaine est imparfaite, mais s’approche de la perfection, avec le temps qui finit par sacraliser des pratiques et des règles. Avec le temps, des institutions imparfaites deviennent sacrées et donc presque parfaites, parce que les hommes s’y adaptent et les adaptent à la conjoncture politique du moment, comme les modifications constitutionnelles sur le troisième mandat. Si les Américains n’avaient pas sacralisé leurs traditions démocratiques, Trump aurait franchi le Rubicon en supprimant le vote par correspondance qu’il savait dangereux pour lui. C’est cette capacité à donner le temps long de l’histoire aux institutions qui fait de la Constitution américaine une vieille dame sacrée, âgée de plus de 2 siècles et qui a réponse à tout, même aux questions que l’on se pose en 2020.
Au Sénégal, C’est ce temps long que nous sommes incapables de donner à nos institutions, qu’on triture tout le temps. En 60 ans, nous avons fait plus de modifications constitutionnelles que les Etats-Unis en plus de 2 siècles. C’est pourquoi les Etats-Unis ont des traditions démocratiques comme (le vote par la Poste, le système des grands électeurs, Caucus, Convention, le système bipartisan), alors qu’au Sénégal, même si on vote depuis plus d’un siècle avec les quatre communes, nous n’avons pas des traditions électorales, parce que les institutions et les règles du jeu changent à chaque élection. Le système électoral américain est sans doute le plus compliqué au monde, car certaines règles et pratiques conçues au temps des 13 colonies et des Pères fondateurs y subsistent encore. Avec le temps, ces institutions sont devenues sacrées, car hors de portée des humeurs et des intérêts politiciens du moment. Notre système électoral est aussi très compliqué, parce qu’étant le résumé de 26 ans de lutte de l’opposant Wade contre la fraude. Ce système électoral qui a fini de faire de l’alternance la «respiration naturelle de notre démocratie» et qui nous permet d’avoir les résultats le jour de l’élection, contrairement aux Etats-Unis, n’est naturellement pas parfait, mais il est très bon. Il nous faut lui donner le temps de la sacralisation et refuser de suivre les rentiers de la tension électorale et politique qui sont toujours en quête de création d’institutions. Je suis les élections au Sénégal depuis les Législatives de 1998, et ce sont toujours les mêmes fonctionnaires qui organisent les élections sans état d’âme, et quels qu’en soient les résultats. Avec les alternances, les régimes passent, les Présidents passent, les ministres de l’Intérieur passent, mais l’Administration électorale demeure. C’est une tradition administrative qu’il faut aussi sacraliser. C’est cette technostructure impersonnelle, incarnée par des visages comme Bruno Diatta ou le colonel Cissokho (Aide de camp de Wade et chef d’état-major particulier de Macky)…, qui nous différencie de la Guinée ou de la Côte d’Ivoire, et qui est le socle de notre stabilité.
Quant à Joe Biden qui prône l’unité des Américains après les fractures Trump, il aura besoin du courage de Lincoln (Républicain) qui, comme Biden, avait hérité d’un pays fragmenté par des divisions politiques et raciales, mais aussi de l’optimisme de Frank Delano Roosevelt (démocrate), arrivé au pouvoir lors d’une des crises économiques les plus graves de l’histoire et merveilleusement décrite par John Steinbeck dans Les raisins de la colère. Biden hérite d’une Amérique des raisins de la colère sur le plan économique et de la Case de l’Oncle Tom, avec la résurgence de la question raciale.