Si la France est restée une puissance africaine, soixante ans après les indépendances, c’est à cause principalement des impuissances africaines. La France est devenue une «puissance africaine» parce que la quasi-totalité de ses opérations extérieures se déroulent sur le continent et presque exclusivement en Afrique au Sud du Sahara. Le désir d’impuissance des Etats africains est le moteur de la volonté de puissance française en Afrique, qui est devenue son avantage comparatif dans les relations internationales. L’empire colonial français incluait pourtant une partie de l’Asie, le Moyen Orient et le Maghreb où il n’y a plus d’interventions militaires françaises comme c’est le cas en Afrique noire. A l’exception notoire de l’intervention en Libye, qui a été une guerre privée de Sarkozy et de Bernard-Henri Levy, la France n’intervient pas militairement au Maghreb, ni en Asie comme au Vietnam ou au Cambodge, parce que ces pays ne développent pas une quête d’impuissance comme les Etats d’Afrique noire. Cette quête d’impuissance, incarnée par la schizophrénie permanente et le «complotisme» dans nos relations avec la France. Quand la France nous oppose notre souveraineté pour ne rien faire, on dénonce l’indifférence, quand elle intervient, souvent à la suite d’appels des Etats, on dénonce l’ingérence et la recolonisation. Bien avant le Mali, l’Algérie a été confrontée au jihadisme terroriste, mais a développé une volonté de puissance qui lui a permis d’éradiquer militairement le fléau, alors que le Mali s’est contentée de la «volonté d’impuissance» qui consiste à faire appel à la France. Cette quête d’impuissance est aussi présente en Côte d’Ivoire, où les acteurs politiques, incapables de s’entendre sur les règles minimales du jeu politique, ont fait appel à l’ancienne puissance coloniale pour arbitrer un conflit politique et identitaire qui a fait des milliers de morts. La même chose en République centrafricaine où, après 60 ans d’indépendance, on ne peut parler ni de Nation ni d’Etat, encore moins de cohabitation d’ethnies, où ce sont encore les acteurs incapables de régler leurs conflits politiques qui transforment leur pays en champ de confrontation internationale comme l’Espagne pendant la guerre civile. Cette impuissance africaine sévit aussi où Burkina Faso, où l’on se rend compte que la principale mission de l’Armée a toujours été de défendre un régime contre les coups d’Etat et non pas de protéger le pays. Cette fragilité intrinsèque de l’Armée du Burkina fait aujourd’hui la force des jihadistes. C’est à cause de ces impuissances africaines qu’on donne trop d’importance à la France dans le débat en Afrique et qu’on voit sa main partout, même si les faits prouvent le contraire. Les jeunes Burkinabè ont fait leur révolution et chassé le tyran. Au Sénégal, nous avons élu en 2000 Me Wade que la France de Foccart considérait comme un «aventurier dangereux qui allait plonger le pays dans un saut dans l’inconnu». Au Mali, le coup d’Etat et «le coup d’Etat dans le coup d’Etat», malgré la présence militaire française, prouve que la France n’est pas le Big brother qu’on croit. En Centrafrique, le jeu d’échec de l’Etat entre la France et la Russie prouve aussi qu’il y a une certaine marge de manœuvre. En Côte d’Ivoire, la France n’a pas pu empêcher Ouattara de se lancer dans l’aventure du 3e mandat. La révolution des jeunes Burkinabè qui ont chassé Compaoré montre que les causes et les rapports de force endogènes l’emportent sur la volonté des puissances coloniales, comme ce fut le cas à la Baule. Ce qui se passe est simple. Le désir d’impuissance est consubstantiel à la recherche de bouc émissaire, alors que la volonté de puissance exige qu’on prenne ses responsabilités comme l’Algérie avec les jihadistes, ou le Rwanda qui a redéfini ses relations avec le France. De toute façon, qu’ils le veuillent ou pas, les Etats africains vont être obligés de faire face à leurs responsabilités, parce qu’ils n’auront plus de bouc émissaire. La fin de l’opération Barkhane marque la mort du pré carré qui n’existe plus depuis longtemps que dans la tête des Africains. La France a tourné la page du syndrome de Fachoda en organisant la conférence internationale sur le Soudan à Paris, en marge du sommet sur le financement des économies africaines, en se focalisant plus sur le Nigeria, l’Afrique du Sud ou le Kenya que sur la Côte d’Ivoire, le Sénégal ou le Gabon. La volonté de puissance de la France en Afrique est naturelle, parce que cela lui confère des attributs de grande puissance, comme la doctrine de Monroe en Amérique, mais ce qui ne l’est pas, c’est la quête d’impuissance de l’Afrique noire et sa quête permanente de boucs émissaires (France, Cpi, Banque mondiale, colonisation). L’arrivée de Macron et la fin de Barkhane montrent que pour l’Afrique noire, la «France de Papa est morte et ceux qui ne l’auront pas compris mourront avec elle», comme avait dit Gaulle à propos de L’Algérie. Espérons que le Sénégal l’ait compris, parce que pour la France, le Mali est un problème de politique extérieure alors que pour le Sénégal c’est un problème de sécurité nationale, car on ne peut pas déménager ! Et les jihadistes à Bamako et Kayes, ce n’est plus une vue de l’esprit, mais une thèse dans notre stratégie de sécurité nationale.
Yoro DIA – yoro.dia@lequotidien.sn