La presse a commencé à publier les bonnes feuilles du livre de Macky Sall, Le Sénégal au cœur. Dans ces bonnes feuilles, on lit la réponse de Macky Sall à son prédécesseur Abdoulaye Wade qui l’avait qualifié de «descendant d’esclave et de fils d’un anthropophage». Cette réponse à Wade n’est pas nécessaire pour deux raisons. Premièrement, Charles Maurice de Talleyrand nous apprend que «tout ce qui est excessif devient insignifiant». Les propos de Wade ont été tellement excessifs qu’ils furent insignifiants pour les Sénégalais. Wade n’a pas tenu son rang dû à ses anciennes fonctions. Macky Sall ne tient pas le rang de sa fonction en descendant au niveau de Wade. Deuxièmement, il faut rappeler que la République est le système politique qui abolit le hasard de la naissance pour le remplacer par le mérite, contrairement à la monarchie qui se fonde sur le hasard de la naissance. La grandeur d’un Macky Sall n’est pas dans des origines nobles, mais dans son mérite personnel qui lui a permis de transcender le hasard de la naissance (il était si mal parti) pour se hisser au sommet de notre République, qui d’ailleurs a toujours été présidée par des ruraux (Senghor est de Joal, Diouf de Louga, Wade de Kébémer et Macky Sall de Fatick). Ce n’est pas par hasard que Napoléon Bonaparte est le plus grand dirigeant français de tous les temps, parce que de tous, il a eu le plus de mérite. Parti de sa petite île de Corse, il a fini au sommet de l’Europe grâce à son mérite car, comme dit Chateaubriand dans ses mémoires d’outre-tombe, «Bonaparte n’est point grand par ses paroles, ses discours, ses écrits, par l’amour des libertés qu’il n’a jamais eu. … Il est grand surtout pour être né de lui seul, pour avoir su, sans autre autorité que celle de son génie, se faire obéir par trente-six millions de sujets». C’est toute la beauté de la République. Ayons la République au cœur !
La Tunisie sauve l’honneur du monde arabe
En manifestant contre la venue de Mohammed Ben Salman, la Tunisie sauve encore l’honneur du monde arabe. Ces manifestations permettent de comprendre pourquoi la Tunisie est le seul pays arabe où le Printemps arabe a été une réussite. Le pays de Habib Bourguiba a toujours été une exception dans le monde arabe. Le Printemps arabe a abouti dans certains pays arabes à un hiver islamiste et dans d’autres à la restauration d’une dictature militaire, comme en Egypte, sauf en Tunisie où la Révolution de jasmin a été une réussite démocratique. La Tunisie a réussi sa révolution parce que c’est l’une des rares sociétés arabes où il y a une société civile. Dans tous les autres pays arabes, la vie politique se réduit à un face-à-face entre les dynasties autocratiques et les islamistes. C’est pourquoi, en Egypte, après le Printemps arabe, nous avons eu l’hiver islamiste avant le retour des militaires. En Syrie, le Printemps arabe a débouché sur la guerre et la victoire de la dynastie autocratique des Assad. La Tunisie doit la réussite de sa révolution aux fondations solides posées par Habib Bourguiba, comme le Sénégal doit sa stabilité aux fondations solides posées par Léopold Sédar Senghor. Senghor comme Bourguiba ont laissé à leur pays un héritage incommensurable : un Etat et une société civile. L’Egypte a beaucoup d’intellectuels, mais sa société civile a toujours été prisonnière entre le marteau des militaires et l’enclume des islamistes. Le principal problème de la démocratisation du monde arabe réside dans cette absence de société civile. Le journaliste Jamal Khashoggi, assassiné au consulat saoudien d’Istanbul, était l’incarnation de l’embryon de cette société civile que Mohammed Ben Salman ne saurait voir, mais dont il devra souffrir d’entendre le charivari dans les rues de Tunis. Plus globalement, c’est un scandale que tous ceux qui ont été Charlie ne soient pas Khashoggi. Cela veut dire à quelques jours du 70ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, la croisade pour l’universalisation de ces droits est loin d’être gagnée. Après la chute du mur de Berlin et l’enthousiasme qui s’ensuivit, Francis Fukuyama décréta la fin de l’histoire avec l’universalisation de ces droits que les Marxistes ont relativisés pendant des décennies, les qualifiant de droits bourgeois, et qui finalement avaient réussi à triompher des totalitarismes de gauche (communisme) et de droite (nazisme). Aujourd’hui, le combat pour ces droits est plus que jamais actuel, avec le retour de la raison d’Etat et par conséquent des crimes d’Etat, comme le meurtre de Khashoggi. Ce retour à la raison d’Etat et aux crimes d’Etat est un anachronisme, car même si les droits de l’Homme n’ont pas encore un caractère universel, l’opinion qui est devenue mondiale grâce à internet les rendra universels. L’assassinat de Khashoggi est un anachronisme politique parce que les Saoudiens essaient d’arrêter la mer pardon, le désert, avec leurs bras. Dans l’histoire et l’évolution du royaume, il y aura un avant et un après Khashoggi qui, à terme, va faire plus de ravages que Ben Laden, confirmant ainsi la vieille sagesse qui veut «qu’on ne combatte pas la plume par l’épée» car, comme disait Napoléon Bonaparte, «il y a seulement deux forces dans le monde, l’épée et l’esprit. A long terme, l’épée sera toujours conquise par l’esprit». Ben Laden a échoué avec l’épée, mais Khashoggi a déjà presque réussi avec l’esprit, car cette crise est l’une des plus graves pour le royaume depuis la prise d’otages de la Mecque en 1979 qui a été un tournant. Ben Laden a été un épisode. Khashoggi est un autre tournant vers des réformes qui ne seront plus simplement la volonté du prince, mais une nécessité pour la survie du royaume.