«Bonjour, nous savons que vous avez pris part dans l’affaire Sonko du fait de votre ethnie. Vous pensez pouvoir manipuler les Sénégalais jusqu’à ce qu’une guerre ethnique se déclare au Sénégal. Nous ne comptons pas vous suivre. Mais la prochaine fois que vous aurez un quelconque commentaire sur Sonko, nous règlerons les choses autrement.» J’ai reçu sur Facebook cette joyeuseté de Monsieur Ibrahima Ndiaye. Je vais à la fois le rassurer doublement et le décevoir. Le rassurer parce que je ne lui ferai pas l’honneur d’une plainte, mais surtout le rassurer qu’il n’y aura pas de guerre ethnique au Sénégal. La peur de la guerre ethnique est purement artificielle parce que dans notre pays, les entrepreneurs identitaires d’où qu’ils viennent sont voués à l’échec. L’harmonie ethnique et religieuse au Sénégal n’est le fait ou la volonté de l’Etat, mais a des racines sociologiques et historiques très profondes.
Senghor, issu d’une double minorité (ethnique et religieuse), a gouverné pendant 20 ans, de même que Wade, issu d’une double majorité. Contrairement à beaucoup de pays africains, nous avons des fondamentaux solides. Nous sommes une Nation et nous avons un Etat solide. Nos fondamentaux sont tellement solides que nous avons pu gérer notre crise nationale la plus grave (la Casamance) sans qu’elle ne dépasse une crise de basse intensité. Cette crise, comme je l’écris souvent, a permis au Sénégal d’adapter son contrat social qui est passé de «Nation une et indivisible» à Nation plurielle, mais indivisible. Et l’émergence de Sonko est l’incarnation de ce Sénégal pluriel, mais indivisible.
La menace de la guerre ethnique est une manipulation politicienne, parce qu’il y a toutes les ethnies dans tous les partis, à commencer chez Macky et Sonko. Il y a toutes les ethnies dans toutes les confréries, dans tous les quartiers où l’ethnicité se dilue dans la socialisation. S’il y avait le réflexe ethnique primaire qu’on veut créer de toutes pièces, je doute fort que Me Tall et Me Ly soient les plus grands croisés pour défendre Sonko. Je vais décevoir ce bon Monsieur Ibrahima Ndiaye, et je vais continuer à m’exprimer car, comme dit Jefferson, «quand on renonce à la liberté pour plus de sécurité, on ne mérite ni liberté ni sécurité» et mieux encore, chez moi à Thiaroye, on dit «ragal dou dieggi rail». C’est à cause de légions d’insulteurs et des menaces que les meilleurs d’entre nous dans le monde intellectuel avaient abdiqué de leurs responsabilités. Mais heureusement, il y plus de 2 semaines, ce pays a pris la première dose du vaccin contre la terreur intellectuelle, avec le réveil des clercs (Ma chronique il y a 2 semaines).
Une deuxième dose ne sera pas nécessaire parce que le virus a été neutralisé et le Sénégal a secrété des anticorps et retrouvé ses réflexes normaux et naturels de pays de débats, de pluralité et même de polémique, car il n’y a que dans les dictatures où le silence (autocensure) devient une vertu par la peur.
Les dictatures sont silencieuses et les démocraties bruyantes de débats et de controverses. La semaine dernière, je parlais du talentueux Dr Goebbels qui avait inventé la notion de propagande ennemie pour l’ériger en rempart entre les Allemands et la raison ou le simple bon sens. Entre autres armes du Dr Goebbels, il y avait la stratégie qui consiste à attaquer l’émetteur pour détourner l’opinion du message. C’est une tactique primaire de manipulation. C’est ce qu’essaient de faire des Messieurs comme Ibrahima Ndiaye en voulant m’enfermer dans le piège de la cage de l’ethnicité, parce que tout simplement j’ai parlé de petite Niominka, une anaphore pour exprimer mon empathie, pour ne pas dire ma pitié pour cette petite victime d’abus de faiblesses qui subit une double peine, parce qu’elle est «l’herbe victime de deux éléphants qui se battent».
Les entrepreneurs et manipulateurs identitaires y ont vu un «appel aux Niominkas». Ils ont tort. Mon texte avait plus d’ambitions. J’en appelais à tous les Sénégalais et surtout à la République pour défendre Adji Sarr, qui subit une double peine (elle est victime s’il y a complot, elle l’est aussi s’il n’y a pas de complot). Elle est doublement victime parce que c’est la fille de personne, et la République qui est le système qui abolit le hasard de la naissance (privilèges) pour le remplacer par le mérite et l’égalité devant la loi, doit défendre les fils et les filles de personne. Comme moi, ceux qui nous ont gouvernés ou ceux qui gouvernent actuellement, sommes presque tous des fils de personne, qui devons tout à la République. Maintenant, monter l’expression petite Niominka comme un appel identitaire revient soit à avoir un problème de compréhension ou d’ignorance de notre répertoire symbolique traditionnel. Comme je suis de bonne foi, je plaide pour l’ignorance.
Personnellement, je n’ai jamais été vexé ou pris cela comme une question identitaire, quand je suis en Casamance et qu’un Manding, un Balante ou un Diola m’appelle Foulandingo (le petit peul), ou même qu’un Sérère ayant l’audace de réécrire l’histoire m’appelle Machoudo (mon esclave). Pour le machoudo, un peu quand même, parce que je ne reconnais ce droit qu’à mon ami instituteur Mbaye Ngoné Sène de Ndiaraw dans le Sandok, qui chaque année amène jusque chez moi un sac de mil et de niébé, prix pour lui de mon allégeance annuelle, ma famille et moi. Et depuis plus de 10 ans, je lui prête allégeance. Le fait de m’accuser d’ethnicisme a fait beaucoup rigoler mes amis, car ces honorables messieurs, qui m’accusent, ignorent que contrairement à ce que mon nom, mon prénom et peut-être même mon visage indiquent, je ne parle pas un mot de puular. Ma seule ethnie est le Sénégal pour une raison simple. Mon arrière-grand-père, après avoir converti le premier Damel, est resté dans le Cayor, ce qui fait que nous sommes devenus comme les Normands qui ont colonisé l’Angleterre, où tout ce qui est resté de français est le cachet de la Reine ou du Roi : «Honni soit qui mal y pense, le Roi le Veult.» Tout ce qui m’est resté de puular est le nom et le prénom. J’ai des origines au Fouta, des racines séculaires dans le Cayor, je suis de culture lébou pour avoir passé toute ma vie à Thiaroye-sur-Mer, devenu un fundraiser du Casa-Sports (incarnation de la Casamance plurielle dans un Sénégal pluriel) et partisan du transfert de la capitale à Tamba (Ma chronique du 23 décembre) pour substituer la logique continentale à la logique atlantiste coloniale. Mon ethnie c’est le Sénégal, parce que comme tous les Sénégalais j’ai des appartenances et des identités plurielles et je refuse de couper l’une d’elles ou qu’on m’enferme dans l’une d’elles.
Donc, je tiens à rassurer ce bon Monsieur Ibrahima Ndiaye qu’il n’y aura pas de guerre ethnique, parce que comme l’a écrit le Pr Makhtar Diouf dans les Ethnies la Nation, «le Sénégal est l’une des rares sociétés africaines à s’être détribalisé» et «desethnicisé» grâce, entre autres, aux deux melting-pots que sont le Wolof et les confréries. Nous sommes une Nation indivisible, mais plurielle. Les manipulateurs identitaires perdent leur temps et nous font perdre du temps, au point d’occulter des débats importants, comme le fait que la Mauritanie soit en train de devenir la plus grande alliée du Sénégal, certes grâce à l’histoire, mais aussi au business, avec le pétrole et le gaz, comme le modèle de l’Union européenne qui a substitué le business à la guerre comme mode de régulation de leurs relations, avec à la clé la plus longue période de paix et de prospérité de l’histoire de l’Europe.
Avec le pont de Rosso et celui de Farafegny, le Sénégal et ses voisins s’acheminent vers ce modèle qui inclura aussi la Guinée, malgré le ressentiment dont Alpha Condé accable le Sénégal (qui l’a sauvé des geôles de Lansana Conté) et qui remonte à ses frustrations d’étudiant à la Feanf (Fédération des étudiants d’Afrique noire en France) avant les indépendances. C’est sur des chantiers aussi gigantesques ou ceux de l’emploi, de la sécurité nationale et le terrorisme entre autres qu’on devrait juger nos politiques qui veulent nous enfermer dans la distraction massive de la peur artificielle du conflit ethnique.
A côté du message de Monsieur Ibrahima Ndiaye, j’en ai reçu beaucoup d’autres qui partagent mon point de vue et d’autres naturellement très critiques, mais très courtoises. C’est cela le relativisme qui est l’âme de la démocratie et l’antithèse de la terreur intellectuelle.