Neuf ans après sa disparition, la famille du Professeur Abdoulaye Ly a cédé à l’Ifan, sa bibliothèque et son fonds documentaire. La cérémonie organisée pour magnifier cet acte a été saisie par le Pr Abdoulaye Bathily pour dénoncer le peu de reconnaissance de la Nation sénégalaise pour les «vrais pionniers de l’indépendance» comme le Pr Abdoulaye Ly et le Président Mamadou Dia.Par Mame Woury THIOUBOU –
Le Professeur Abdoulaye Ly, «un des pionniers de l’indépendance du Sénégal», n’a pas eu toute la reconnaissance qu’il aurait dû recevoir. C’est le sentiment du Pr Abdoulaye Bathily qui s’exprimait à l’occasion du 9e anniversaire de la disparition de l’historien et homme politique sénégalais. Occasion également saisie par la famille du disparu pour léguer à l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan) de l’Université Cheikh Anta Diop, la bibliothèque et le fonds documentaire du Pr Ly. La cérémonie, qui a pris les allures d’un véritable hommage au disparu, a été suivie d’un panel autour des principaux axes de recherche du Pr Ly. Abdoulaye Bathily, qui introduisait le thème : «Abdoulaye Ly, historien et homme politique», n’a pas manqué de fustiger le manque de reconnaissance de la République envers ces «pionniers» dont fait partie également le Président Mamadou Dia. «Ce sont eux les vrais pionniers de l’indépendance et curieusement, ils sont rangés aujourd’hui dans l’oubli», souligne Pr Bathily. Selon l’historien et compagnon de lutte du Pr Ly, «Blaise Diagne a une avenue et un aéroport qui portent son nom. Par rapport à l’apport de gens comme Abdoulaye Ly et Mamadou Dia…».
Poursuivant dans son plaidoyer, il a souligné qu’elles sont nombreuses ces personnalités politiques valeureuses qui ont tout donné à la Nation et qui, en retour, ont reçu fort peu. «Les jeunes générations doivent savoir la portée de ces décisions. Je suis particulièrement admiratif de ces pionniers et je le demeure. Aucun d’entre eux n’a laissé de richesse à sa famille. Il faut voir les maisons qu’ils habitaient ! Mais ils sont tous oubliés dans notre panthéon politique», se désole le Pr Abdoulaye Bathily. Auparavant, le Pr Boubacar Barry, modérateur du panel, a plaidé pour que le Musée historique de Gorée dont il fut le fondateur et le conservateur, porte le nom du Pr Abdoulaye Ly.
Né le 25 février 1919 à Saint-Louis, le Professeur Abdoulaye Ly devient en 1955, le premier sénégalais titulaire d’une Thèse d’Etat en histoire. Avec ses travaux sur «L’Evolution du commerce français d’Afrique noire dans le dernier quart du XVIIème siècle : la Compagnie du Sénégal de 1673 à 1696», il trace le chemin à d’éminents chercheurs comme Samir Amin, Boubacar Barry, Abdoulaye Bathily, entre autres. Ces travaux sur la Compagnie du Sénégal ont, estime le Pr Bathily, permis de mettre en évidence des questions majeures de l’histoire moderne, du monde et de la transformation du monde à partir du 16ème siècle. En effet, ses travaux montrent «que l’expansion coloniale est basée sur une exploitation économique des ressources des pays colonisés à travers un commerce inégal de métaux, de sucre, de coton et de gomme arabique». L’historien rappelle qu’au 17ème siècle, l’industrie textile était florissante le long du Fleuve Sénégal et du Golfe de Guinée. «Mais le commerce colonial s’est employé à détruire cela et y substituer son propre commerce.» Evoquant la portée de la thèse du Pr Ly, le Pr Bathily souligne que l’œuvre a défriché les grands thèmes de l’histoire moderne.
Homme politique de premier plan
Homme politique, le Pr Abdoulaye Ly battit sa carrière politique sur le panafricanisme et l’anti-impérialisme d’abord au sein du Groupement africain de recherches économiques et politiques (Garep), une structure de la Fédération es étudiants d’Afrique noire en France (Feanf). Au Sénégal, il milite successivement au Bloc démocratique sénégalais (Bds) en 1955 puis au Parti pour le regroupement africain (Pra) qu’il fonde avec ses camarades en 1958 et plus tard, il milite au sein de l’Union progressiste sénégalaise (Ups). Entre mai 1957 et juin 1958, Abdoulaye Ly fut ministre de la Production dans le gouvernement issu de la Loi-cadre et présidé par Pierre Lamy pour la France et Mamadou Dia. Il démissionnera pour reprendre ses activités de chercheur et d’homme politique avant de reprendre service comme ministre de la Santé publique et des affaires sociales de 1966 à 1970. Sa bibliothèque et son fonds documentaire, composés de 1500 ouvrages et périodiques scientifiques, de 27 mètres linéaires d’archives personnelles comprenant 270 dossiers et d’une version numérique des archives ont été remis à l’Ifan par sa famille.
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