Baye Peulh s’éteint 10 ans après Makhouradia : Le duo se reforme dans l’Au-delà

Le comédien de renom El Hadj Oumar Ba alias Baye Peulh est décédé hier à l’âge de 80 ans des suites d’une longue maladie. L’artiste qui avait quitté les planches en 2007 après le décès de son compère Makhouradia Guèye le retrouve enfin sur la scène céleste. Retour sur la joyeuse et émouvante vie de ce pionnier du théâtre sénégalais.
A 80 ans, El Hadj Oumar Ba dit Baye Peulh, icône du quatrième art au Sénégal, a tiré sa révérence hier. Selon des informations concordantes, l’illustre disparu a rendu l’âme dans un hôpital de la place où il était admis pour des soins. On le savait malade depuis de longs mois. Mais la nouvelle de son décès n’a pas manqué de susciter de la compassion. Le défunt était très connu et aimé pour son humour et cela fait que malgré son âge avancé, les fans le voulait «immortel». Immortel, Oumar Ba l’est en effet. Cet artiste qui a longtemps fait les beaux jours du théâtre avec la mythique troupe de Daraay Kocc avait déjà quitté les planches après le décès de son fidèle compagnon Makhouradia Guèye. Inactif depuis une dizaine d’années, ce comédien avait choisi de vivre le reste de ses jours loin des projecteurs. Mais sa disparition fait ressurgir de vieux souvenirs de son parcours.
C’est en effet en 1981 que Oumar Ba se fait coller le surnom de scène Baye Peulh, au détour d’une pièce de théâtre dans laquelle il incarnait le rôle d’un passeur pour des émigrés clandestins. «Quand on a fini le tournage à Saint-Louis en 1981, il nous fallait trouver un nom pour la pièce. Toute la troupe Daaray Kocc a opté pour le nom de Baye Peulh, personnage que j’interprétais dans la pièce. Et c’est de là qu’est parti ce pseudonyme. Qui est d’ailleurs plus connu que mon véritable prénom, El Hadj Omar», révélait-il dans un entretien accordé au journal L’Observateur. Ce pseudonyme ne le quittera plus jamais. Baye Peulh, comme de nombreux artistes de sa génération, n’a pas eu la chance de fréquenter l’école française. A 20 ans, il avait intégré l’Armée et a été en Algérie et en France. Il a donc fait en tout 16 ans sous les drapeaux.
Caporal-chef dans l’Armée
A son retour en 1962, il avait été reversé dans le bataillon du Génie du camp militaire de Bargny. Mais le jeune homme n’a pas pu progresser dans l’Armée à l’instar de certains de ses collègues. Cela, parce que son niveau d’instruction était très bas. «Quand le Blanc me demandait mon niveau d’instruction, je répondais : ‘’Tout près du Cep’’. On me mettait tout le temps des bâtons dans les roues à cause de mon faible niveau d’instruction. Mais grâce à Dieu, j’ai eu à fréquenter un Français qui m’a appris le noble métier de la goudronnerie», confessait-il en 2011 avec un sourire. Mais il faut rappeler qu’à l’époque et devant l’incapacité des officiers à faire des œuvres manuelles comme la goudronnerie, Oumar Ba s’était illustré avec brio dans ce domaine. Un savoir-faire qui comble plus ou moins ses carences intellectuelles. Puisque l’art de la goudronnerie lui a permis de progresser et d’atteindre le grade de caporal-chef. Mais quand il a atteint la limite d’âge de l’époque qui était de 36 ans, il avait été remercié par l’Armée.
Mythique duo Makhouradia Guèye-Baye Peulh
De retour à la vie civile, El Hadj Oumar Ba a travaillé pour l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna) où il avait été embauché comme enginiste avant de prendre sa retraite en 1996. Ce fut durant cette période qu’il fit la rencontre d’un ami qui le conduira sur les planches sénégalaises. «Quand j’étais à l’Asecna, je prenais mon petit-déjeuner tous les jours au tangana du coin. C’est là-bas que j’ai fait la connaissance de Makhouradia Guèye en 1980. Il m’a proposé de faire un duo avec lui, car selon lui, nous étions nés sous là même étoile. Il m’a relancé plusieurs fois et pour me taquiner, il me disait : ‘’Je suis beau, tu es vilain, nous ferions un duo de choc dans la comédie.’’ C’est ainsi que j’ai intégré la troupe Daaray Kocc la même année», avait-il confessé. Oumar Ba avait donc été audité et pendant 1 an, il accompagnait la troupe sans interpréter de rôle. Mais au bout d’une année, Cheikh Tidiane Diop avait décidé de lui confier le rôle de Baye Peulh. C’était la révélation en 1981. Ce fut aussi le début de sa carrière à Daaray Kocc. Le jeune comédien prend ainsi goût aux planches avec la compagnie de Makhouradia et à force de faire des prestations, ils ont fini par avoir des fan-clubs un peu partout à travers le pays et au-delà des frontières sénégalaises. Ba jouera avec cette mythique troupe jusqu’à sa retraite en 2007.
En 2007, après le décès de son complice de scène Makhouradia Guèye, Baye Peulh avait alors juré de ne plus faire du théâtre. «Aujourd’hui que Makhouradia est décédé, je ne peux pas composer avec la nouvelle génération. Le théâtre d’aujourd’hui est devenu très industriel. Les acteurs en font un fonds de commerce, ce qui relègue au second plan l’aspect éducatif», regrettait-il. De leur côté, les fans garderont à jamais de lui des souvenirs indélébiles de ses rôles dans Ibra italien, Teuss teuss ou encore Sam almette avec feu Babou Faye. Ce sont des pièces qui avaient une large portée et qui véhiculaient des messages forts. Mais outre cette reconnaissance des fans, l’Etat n’a pas véritablement valorisé et récompensé le talent de ce duo pionnier. A tel point qu’au seuil de sa vie, Baye Peulh, l’un des comédiens les plus gais du Sénégal, était devenu amer. Sinon presque. «Malgré toute ma carrière et tout ce que j’ai apporté au monde du théâtre, je n’ai jamais été reçu en audience par le gouvernement, par le Président, ni par le Premier ministre ou par le président de l’Assemblée nationale… Je n’ai jamais été reçu par une autorité depuis 2000, malgré mes nombreuses demandes d’audience», avait-il regretté. Il ajoutait encore : «C’est dommage. Le comédien vit de son art et les reconnaissances à titre posthume n’ont pas trop de sens. Il faut assister la personne pendant qu’elle est encore en vie, car le comédien ne peut ni chanter des louanges ni aller quémander de quoi vivre. Avec le théâtre, les gens me reconnaissent dans la rue et me remercient à leur manière. Les Sénégalais m’aident beaucoup et je ne refuse pas d’aide venant de quelque bord que ce soit».
Son audience demandée et jamais obtenue
«Je cours après une audience depuis l’installation de Macky Sall. J’ai mandaté plus de 20 personnes, mais rien n’y fait. Il faut que les autorités acceptent de nous recevoir afin qu’on leur soumette nos doléances. Je profite de cette occasion pour demander au Président Sall et à son épouse une audience et je garde espoir. On doit nous subventionner, nous les personnes âgées, car nous n’avons plus de ressources financières et ne comptons que sur nos familles. Dans le secteur, les moyens ne suivent pas. Nous ne demandons qu’à être soutenus et aidés», avait-il souhaité. Non sans dire à juste raison que «le grand problème c’est que nous ne percevions de droits d’auteur alors que nos œuvres qui datent des années 70, les télés les mettent et nous ne percevons rien du tout… Nous qui sommes de la vieille école, on a été les précurseurs et on devrait avoir un statut de fonctionnaires, mais l’Etat ne fait rien pour nous…». Face à cet manque de considération et au regard de tout ce qu’il a apporté sur le plan culturel, mais également dans l’éducation par l’image de toute une génération, Baye Peulh en est venu à l’idée que «les gens sont ingrats». «Ils ne devraient pas oublier qu’on a fait les beaux jours du théâtre. Nous sommes des éducateurs. C’est triste», disait-il.
«Si je meurs, que personne ne vienne donner quoi que ce soit en guise d’aide»
Dans un entretien relayé par les médias, Baye Peulh, soucieux du triste sort réservé aux artistes, rappelait à propos du décès de son ancien duo de scène : «Quand Makhouradia Guèye est tombé gravement malade, personne n’était à ses côtés, sauf sa famille et moi. Et pourtant, on a fait appel aux bonnes volontés. Personne n’est venu à sa rescousse. Sur son lit de mort, au Cto, il m’a demandé de dire à sa famille que s’il meurt, que personne ne vienne donner quoi que ce soit en guise d’aide, car il n’en avait plus besoin. C’était un homme de vergogne. Quand il est décédé, sa fille aînée a respecté sa volonté quant aux «Médecins après la mort». Aïssatou Guèye leur a retourné leur aide. C’est vous dire que les gens n’ont pas de reconnaissance.» Puis, il ajoutait : «Je m’attends à être traité de la même sorte à mon décès. Les gens, s’ils veulent nous aider, qu‘ils le fassent de notre vivant.» Ce fut son dernier cri du cœur.
Après, plus personne ne l’a entendu dans les médias si ce n’est sa fille Elisabeth Ba qui avait fini par alerter l’opinion sur le triste sort de son père malade et «oublié» par les autorités. Heureusement, l’ancien ministre de la Culture et de la communication, Mbagnick Ndiaye, s’était rendu à son chevet le samedi 13 août 2016. Enfin ! L’ultime hommage est attendu ce week-end.