A l’instar des autres institutions d’émission et de régulation de  monnaie, la Bceao se fixe l’objectif de soutenir  la stabilité des prix, dans notre contexte marqué par une hypothétique relance post-Covid 19, l’institution peut être encline à encourager la croissance économique. On parlera alors d’un objectif  dual (ou double mandat), comme c’est le cas de la Fed ou la Bce.  La croissance économique, associée à une hausse de l’emploi et de la consommation, et donc de la demande, crée naturellement de l’inflation dans nos pays sans un tissu industriel expansif. Donc concédons-le,  stabilité des prix et croissance économique peuvent donc être antinomiques : lutter contre l’inflation tend à réduire la croissance économique, et soutenir la croissance tend à créer de l’inflation.

La Bceao ne peut se substituer ni à nos Etats ni à nos gouvernements, quand bien même elle émane de nos puissances publiques qui lui fixent ses missions, ses objectifs et choisissent les hommes qui mettent en œuvre la politique monétaire qu’elle doit mener en toute indépendance, pour ne pas dire souveraineté.

L’institution se doit toutefois d’avoir une incertaine légitimité politique et sociale, une intelligence contextuelle, voire même un ancrage sociologique. Si c’est trop demander à la Bceao, nos  banquiers centraux ne savent pas qu’on les attend dans un monde de chocs et de crises divers et multiformes, et qu’ils doivent ajuster ou adapter leurs outils et instruments d’intervention.

D’où l’importance d’une politique de taux d’intérêt qui ne crée pas d’inflation ni ne l’accentue, mais dans notre contexte de croissance atone, un taux d’intérêt aussi qui n’inhibe ni ne freine, voire ne ralentit  l’activité productive, tant dans nos économies financiarisées le crédit et son accessibilité sont essentiels dans la production de richesse économique qui assure le bien-être social et sort de la pauvreté de millions de nos compatriotes. 40% de la population de l’Uemoa sont dans la pauvreté, notre zone économique est la zone la plus pauvre du continent. Une approche presque holistique du rôle d’une institution comme la Bceao est essentielle pour aider nos Etats et gouvernements dans leur stratégie de réduction ou d’atténuation de la pauvreté.

L’équilibre entre inflation et croissance, voire surchauffe, est difficile ; c’est là que le génie des banquiers centraux est mesuré. Alan Greenspan aux Usa et Jean Claude Trichet en France ont su trouver cette balance…

Ici dans la zone Uemoa, nos économies sont fortement marquées par l’informel que la Bad situe à 39% du total de l’activité et la prépondérance des Pme et Pmi -98% au Sénégal-, cela fait qu’il est presque impossible d’élever le taux d’intérêt sans impacter l’activité économique, avec les conditions de financement prohibitives que les unités fragiles comme les Pme et Pmi peuvent satisfaire. Je n’ose pas parler d’asymétrie dans le système de crédit destiné aux Pme, Pmi et Tpe.

Dois-je  rappeler que notre tissu bancaire est essentiellement étranger, tourné vers le financement de grandes entreprises souvent étrangères aussi, qui sont dans nos pays souvent depuis les indépendances.

Selon le directeur des Pme -ici au Sénégal-, 90% des entreprises sont des Pme. Malgré cette présence quantitative, les Pme peinent à se développer. Ainsi, 65% d’entre elles  meurent à la première année, alors que le taux de mortalité est à 18% en Afrique du Sud. A cette mortalité trop élevée des Pme-Tpe, s’ajoute ce qu’on peut considérer  comme un obstacle qui fera l’hécatombe des autres, à savoir  l’accès aux crédits pour ces Pme-Tpe, qui arrivent à survivre au-delà de la première année d’existence -et qui ont des carnets de commande.

Nos banquiers, pris de cécité, ont-ils claire conscience de la fragilité de nos Pme et Tpe devant les guichets de banques avec des taux usuraires qui les étranglent même.

Je n’insisterai pas outre mesure sur ces assertions prétendant un financement adéquat de nos économies. J’estime que ce débat est trop sérieux pour être une affaire d’intégrants, c’est une assertion fausse, inexacte, et même fallacieuse, ceux qui l’affirment n’ont qu’à exhiber  une étude sérieuse qui l’atteste. Si nos fragiles économies post-Covid étaient adéquatement financées, l’Etat du Sénégal mettrait-il en place la Der et d’autres véhicules de financement pour au moins huiler un tant soit peu l’activité entrepreneuriale pour les jeunes et les femmes ? Il y a déjà dix ans, une étude faite par la Giz et la Kfw, de loin la plus rigoureuse qui ait été faite, le document renseignait déjà que le secteur bancaire local  ne finance que le tiers des besoins exprimés, estimés à environ 595 milliards de F Cfa à fin décembre 2007. Le gap de financement des Pme à fin décembre 2007 peut être évalué à environ 460 milliards de F Cfa. Ceux qui affirment que nos économies sont adéquatement financées, qu’ils osent brandir leurs chiffres et statistiques.

Pour tout simplement dire que le relèvement du taux directeur à 3% reviendra aux acteurs économiques au double, voire au triple, selon les banques commerciales dans nos pays, où nous n’avons plus de banque de développement, ou plutôt une seule Bnde.

Ce relèvement impromptu du taux de refinancement montre un vrai  déficit de génie et un manque de  volontarisme notoire  de notre banque centrale.  Le corset inflationniste poursuivi par la Bceao affame et appauvrit nos populations qui ne voient même plus la couleur de l’argent. Nos banques sont  surliquides mais ne prêtent qu’aux Etats, provoquant une éviction sur l’investissement privé des vrais agents au cœur de l’activité productive. L’économie financière n’est pas adaptée à nos pays.

Pour l’argument de lutte contre l’inflation, il y a un nouveau  vecteur qu’est le prix du loyer, qui grève davantage le pouvoir d’achat que les  denrées même  locales dans le revenu individuel et familial. Et dans une certaine mesure l’augmentation des spéculations locales comme le niébé, le mil, le riz local, et dans une moindre mesure l’arachide.

Voici les limites d’une assertion sur l’inflation importée. Trop simpliste et facile. Oui, on me dira le pétrole et les produits pétroliers, mais regardons cette parafiscalité sur le litre qui n’a aucune corrélation avec le prix du baril.

Une bonne régulation du loyer, vu son poids dans les revenus, atténuerait plus l’inflation que le gel des prix des produits et denrées importés. Mais pour le savoir, nous devons avoir des académiques et des statisticiens qui font un travail régulier et rigoureux sur les indices de prix.

Dans nos villes, le phénomène de la pauvreté et précarité de masse est dû -pour ne pas dire- amplifié, par l’augmentation inconsidérée du loyer. Voici un phénomène à étudier très sérieusement au lieu de poser des hypothèses simplistes  d’économie fermée ou d’économie ouverte.

C’est même de la paresse intellectuelle de poser ces hypothèses, car même la nouvelle science économique autour des modèles de la Nber et de l’Ofce a renoncé depuis longtemps à ces hypothèses simplistes et décevantes du point de vue scientifique. Et pour cause, on nous pose l’hypothèse d’une économie fermée pour pouvoir légitimer une inflation importée. Qu’est-ce qu’une inflation importée vient faire dans un schéma d’économie fermée ?

Voici le silver bullet rêvé des pourfendeurs du F Cfa qui veulent son remplacement sans délai par l’Eco comme la future monnaie de l’espace Cedeao.

Moustapha DIAKHATE
Ex-Cons PM
Expert et Consultant Infrastructure
Chef d’entreprise