Bégaiement et confiance en soi : un combat au quotidien

Chaque 22 octobre, à l’occasion de la Journée mondiale du bégaiement, je prends un moment pour partager un bout de mon histoire. Mon histoire avec ce trouble de la parole qui touche 1% de la population mondiale, selon les statistiques de l’Organisation mondiale de la santé (Oms). Une façon pour moi de libérer la parole -la mienne, mais aussi celle de tous ceux qui, comme moi, ont longtemps eu du mal à se faire entendre.
Cette année, j’aimerais aborder un sujet qui, à mes yeux, est au cœur du bégaiement : la confiance en soi. Parce que oui, quand on bégaie, chaque mot peut devenir une épreuve, mais la vraie bataille se joue souvent à l’intérieur.
Quand la parole devient un test de confiance
Quand on vit avec le bégaiement, on apprend très tôt à douter. Pas forcément de son intelligence, ni de ses compétences, mais de sa capacité à s’exprimer comme les autres. On se met à craindre les situations banales : dire son prénom, aller à la boutique, passer un appel, prendre la parole en public.
Je me souviens encore de mes premières années de collège. Je maîtrisais bien mes cours, j’avais de bonnes notes, mais dès qu’il fallait lire à voix haute ou me présenter devant la classe, tout se bloquait. Ce n’était plus seulement la peur de bégayer, c’était la peur d’être vu en train de bégayer. Et cette peur-là est redoutable, car elle finit par s’infiltrer dans tous les aspects de ta vie.
Alors, pour me protéger, j’ai adopté ce que les psychologues appellent «la stratégie de l’évitement social» : parler moins, participer moins, disparaître un peu. En apparence, tout allait bien. En réalité, je me refermais sur moi-même.
Plus tard, j’ai compris que fuir ne faisait que renforcer le problème. La vraie solution, c’était d’accepter, d’apprendre à vivre avec et, surtout, d’affronter petit à petit les situations inconfortables -sortir de sa zone de confort- «Toujours faire face», comme aime le dire notre ami El Bachir, l’ambassadeur des handicapés vocaux du Sénégal.
C’est ainsi qu’en classe de Première, au lycée, je me suis porté volontaire pour être responsable de classe. Niouné détaway, je me suis ensuite lancé dans une nouvelle aventure : me présenter à la présidence du Club scientifique du lycée. Et me voilà à la tête du Club scientifique d’un établissement aussi prestigieux à l’époque : le Lycée moderne de Rufisque. Eskey, tey mou nékh ! Quelle expérience incroyable ! Je vous épargne les mille et une gaffes que j’ai pu faire cette année-là -il y en a eu des légendaires !-, mais je ne regrette absolument rien. J’y ai gagné en expérience, j’ai souvent affronté le public et, surtout, j’ai appris à ne plus redouter ces moments.
Et, petit à petit, j’ai compris une chose essentielle : la confiance ne naît pas de la fluidité, mais de la paix intérieure.
Quand j’ai commencé à parler sans chercher à «parler parfaitement», j’ai ressenti un vrai soulagement. Et paradoxalement, c’est à ce moment-là que ma parole est devenue un peu plus fluide. Parce qu’au fond, le bégaiement n’est pas toujours une question de parole, c’est souvent une question de regard -le regard qu’on porte sur soi.
Aujourd’hui, dans ma vie professionnelle, cette confiance acquise avec le temps et certainement la maturité, m’aide énormément. Je suis entrepreneur, je travaille avec des partenaires à l’international… et pourtant, je reste un bègue. Mais je ne me définis plus par mon bégaiement. C’est une part de moi, pas mon identité.
Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai dû me présenter devant un client, enregistrer une vidéo, ou intervenir dans une réunion, en sentant ce léger nœud dans la gorge avant de parler. Mais je le fais quand même. Parce que chaque fois que je décide de parler malgré la peur, je gagne un peu plus de terrain sur ce bégaiement qui, jadis, m’intimidait tant.
Et parfois, je me surprends à me dire que ce trouble m’a appris plus sur la confiance en soi que n’importe quel bouquin de développement personnel. Le bégaiement m’a forcé à me connaître, à m’écouter, à me respecter. Il m’a appris la patience, la résilience, la force tranquille.
Confiance en soi : un travail sans fin
Soyons clairs : la confiance en soi, quand on bégaie, n’est jamais acquise une fois pour toutes. C’est un travail de tous les jours. Il y a des périodes où tout va bien, et d’autres où les mots se bloquent, où la peur revient. Mais avec le temps, j’ai appris à accueillir ces moments sans culpabilité. A me dire : «Ce n’est pas grave. Ce n’est qu’un passage.»
La confiance, ce n’est pas ne jamais douter. C’est continuer à avancer malgré le doute. Et chaque fois que je partage une histoire, une anecdote ou un témoignage, c’est une manière de consolider cette confiance, mais aussi d’en offrir un peu à ceux qui en manquent.
Unis dans nos différences
Le thème de cette 28è Journée mondiale du bégaiement, célébrée ce 25 octobre 2025 au Sénégal par l’Association pour la prise en charge du bégaiement au Sénégal (Apbs), résonne profondément en moi :
«Fortes de leurs différences, les personnes qui bégaient s’unissent pour agir.»
Oui, nous sommes différents. Mais cette différence n’est pas une faiblesse, elle est une force.
Chaque personne qui bégaie porte en elle une histoire de persévérance, une leçon d’humilité et un courage silencieux que peu imaginent. Et c’est ensemble, en partageant nos expériences, que nous pouvons renforcer notre confiance et avancer.
En cette Journée mondiale du bégaiement, j’adresse un message simple à toutes celles et ceux qui se battent encore : ne laissez pas votre confiance dépendre de votre parole.
Vous avez de belles choses à dire, et ce n’est pas parce qu’elles mettent plus de temps à sortir qu’elles valent moins. Continuez à parler, à votre rythme. Parce qu’au fond, la plus belle victoire, ce n’est pas de parler parfaitement, mais de parler malgré tout.
Arouna BA arounaba1@gmail.com www.arounaba.com

