Biennale – Représentée sur une œuvre à son insu : L’écrivaine Rama Salla Dieng exige le retrait de son image
![](https://lequotidien.sn/wp-content/uploads/2024/12/OEUVRE-RAMA-SALLA-DIENG.jpg)
La Biennale de l’art contemporain africain de Dakar vit ses dernières heures. Mais cette 15e édition aura été marquée par une situation quelque peu inhabituelle. Une écrivaine sénégalaise, Rama Salla Dieng, a été représentée dans l’œuvre de la Marocaine Majida Khattari. La Sénégalaise, n’étant pas avertie, a demandé le retrait de son image.
La 15e Biennale de l’art contemporain africain (Dak’Art 2024) vit ses dernières heures. Entre expositions, manifestations et colloques, Dakar a vibré pendant un mois au rythme de l’art. Dans l’ancien Palais de justice du Cap Manuel qui accueille l’exposition internationale, les visiteurs ont été très nombreux. Et ceux qui ont visité cette petite salle qui accueille l’installation de l’artiste marocaine Majida Khattari, Le châtiment des roses, ont pu constater des changements dans l’œuvre entre le début de l’évènement et sa fin. Un des visages de femmes représentées dans le temple est désormais recouvert d’une pièce rouge. Une façon de dérober au regard le visage du personnage qui est la chercheuse et écrivaine Rama Salla Dieng. Représentée dans cette œuvre à son insu, la chercheuse sénégalaise a réagi à un acte qu’elle considère comme «pas éthique du tout». «Mme Khattari a utilisé mon image, soi-disant pour me rendre hommage, estimant que je devais en être heureuse. Je suis contre le fait d’aller sur internet, d’utiliser l’image de quelqu’un, de l’imprimer et de venir l’exposer sans avoir au préalable pensé informer la personne que son image était utilisée», réagi Dr Rama Salla Dieng. «Elle n’était pas d’accord, parce que je ne lui ai pas demandé d’autorisation. Et je lui ai expliqué que j’avais beaucoup de travail, parce que j’ai fait la Biennale de Venise. En tant qu’artiste, je peux utiliser cette image parce que nous sommes dans une biennale. Je ne suis pas en train de vendre le tableau. Et pour moi, c’était une référence parce que c’est une romancière sénégalaise. J’étais choquée qu’elle me le reproche», explique l’artiste marocaine. Ses explications n’ont sans doute pas convaincu la chercheuse et féministe sénégalaise. «Elle m’a expliqué avoir pris attache avec une avocate qui a dit que si c’est utilisé à des fins artistiques, c’est autorisé. Mais moi, franchement, je n’en ai rien à faire qu’elle ait demandé à son avocate parce que le temps qu’elle a passé à demander à son avocate, elle aurait pu tout simplement m’écrire un email. Ce n’est pas dans le cadre du Off de la biennale, c’est dans le cadre du In, ce qui veut dire qu’elle a eu le temps, vraiment eu le temps de bien préparer son exposition. Et je pense que la moindre des choses aurait été de me demander la permission avant d’utiliser mon image. Je trouve que ce n’est pas éthique du tout. Je trouve que pour une artiste, cette pratique est vraiment douteuse, qu’il aurait fallu, si elle se juge artiste, demander à la personne l’autorisation d’utiliser son image», réplique Mme Dieng. Au final, l’artiste marocaine a fait mettre une cache sur le visage de sa caryatide sénégalaise.
De «Mee too» à «Balance ton porc»
Dans la salle, une fois la porte franchie, on est accueillie par des voiles colorées. Sur une grande partie de la salle, de curieuses statuettes trônent sur des piédestaux. Les visages humains sont prolongés par un arrière-train de porc. Dans la galerie de portraits, on retrouve Donald Trump, Harvey Epstein, Dominique Strauss Kahn, Roman Polanski, Woody Allen ou Bill Cosby. Tous ont en commun d’avoir été impliqués dans des histoires très scabreuses. En face de cette galerie de personnages, une série de six portraits de femmes accrochés au mur. Entre ces femmes et les «porcs», un bouclier fait d’une multitude de petits miroirs de femmes. Ophrah Winfrey, Angela Davis, Dr Rama Salla Dieng, entre autres, les caryatides de Majida ne sont pas soumises. Par leurs postures, leurs ports de têtes déterminées, elles incarnent la puissance et la force des femmes. «Les femmes que j’ai érigées en caryatides, ont toutes la même robe, le même paysage. Parce que ce sont toutes des féministes. Alors, il y a des écrivaines, il y a des chanteuses, il y a des journalistes. Donc toutes des femmes qui créent les mouvements féministes dans la société et qui ont créé quelque chose par elles-mêmes», explique Majida Khattari. «L’installation est sous forme de temple, parce que j’ai fait une relecture du mythe de la méduse, de la gorgone. Il y a eu Me Too aux Etats-Unis, il y a Balance Ton porc en France, les deux sont mixés», poursuit l’artiste marocaine. Sélectionnée dans l’exposition internationale, Le châtiment des roses, l’œuvre de la marocaine, renverse les rôles du mythe de Persée et Méduse.
Par Mame Woury THIOUBOU – (mamewoury@lequotidien.sn)