La grandeur d’une personne ne se mesure pas à l’aune de sa taille, mais à l’envergure de son destin.  Napoléon Bonaparte
Trente ans sur terre, quarante ans sous terre, parti sur la pointe des pieds le 11 mai 1981, le fils de Cedella Booker et du Capitaine Norval Marley, a pu, par sa capacité de résilience extraordinaire, imprimer son nom sur le marbre de l’histoire de la world music. Bien qu’il n’ait pas atteint l’âge canonique de 40 ans, qui marque la maturité spirituelle de la personne, Robert Nesta Marley né le 06 février 1945 à Nine Miles, est parvenu à 36 ans, à remplir pleinement sa part de la mission terrestre de l’Homme. En fait, comme le dit Abraham Lincoln : «Ce n’est pas le nombre d’années dans ta vie qui compte, mais ta vie durant ce nombre années.» (Traduction mienne)
Toutefois, derrière tout grand homme se trouve souvent une grande dame. Et derrière la légende de la musique reggae se trouvaient deux grandes dames : sa mère, Cedella Booker, et son épouse, Rita Marley. Si la première a su élever le petit campagnard qu’a été Bob, abandonné par un père blanc et grabataire déshérité par une mère blanche raciste, jusqu’à son adolescence, la seconde, malgré les vicissitudes et les tentations de la vie urbaine, a su garder le temple rastafari devenu aujourd’hui la forteresse d’un empire musico-industriel.
Et Bob dans tout ça ? Serait-on tenté de se demander. Mais Nicolas Machiavel a vite fait de lever l’équivoque dans Le Prince: «Néanmoins ne pouvant admettre que notre arbitre soit réduit à rien, j’imagine qu’il peut être vrai que la fortune dispose d’une moitié de nos actions, mais qu’elle en laisse à peu près l’autre moitié à notre libre arbitre.» En effet, en 1963, ne pouvant plus surmonter les difficultés conjugales avec son nouvel époux, Taddeus, dans une Jamaïque où toutes les relations sont basées sur l’exploitation de l’Homme par l’Homme, Cedella Booker décide de se rendre aux Etats Unis dans l’objectif d’améliorer ses conditions de vie et celles de ses deux rejetons, Bob et sa demi-sœur issue de son mariage avec le père de son futur compagnon dans le groupe Les wailers, Bunny Wailer.
Ce qui devrait durer 3 mois dura trois ans. Pourtant, la difficile vie quotidienne en Jamaïque noyée dans la fumée de la ganja, animée par les tracasseries policières et le rythme endiablé du ska, la première forme du reggae, se révèle une fournaise pour le jeune mulâtre de 8 ans, rejeté de part et d’autre. Mais comme le chantera Bob Marley plus tard : «Seuls les forts parmi les plus forts survivront.»
Ayant abandonné l’école et le métier de soudeur, le Tuff Gong, comme on le surnommait, se lança dans sa passion : la musique. Mais le milieu est un oligopole sous le monopole de producteurs véreux. Cette bourgeoisie compradore composée de Chinois, de Syriens, d’Indiens et de Libanais, qui récoltent là où ils n’ont jamais semé, de connivence avec les capitalistes. Simmer down, Adam and Eve, Judge not, Hypocrites, etc. les singles se succèdent et passent en boucle dans les stations de radio et les sounds systems mais le quotidien du trio demeure précaire. Bob se résolut alors de rejoindre sa maman au Delaware pour trouver un peu d’argent et s’acheter des instruments de musique. A son retour, il se rend compte que la réalité est plus profonde que cela. Pour percer dans le show biz en Jamaïque, il faut se compromettre ou aller voir ailleurs.
Une occasion est vite trouvée par truchement d’une collaboration avec Johnny Nash, venu des Etats Unis. Elle se termine par une trahison. Johny Nash est un chanteur en mal d’inspiration qui était venu se ressourcer en lyrics pour une consommation occidentale, plus particulièrement américaine. Finale­ment, les Wailers signent avec Chris Blackwell de Islands Records en 1973. Cette fois-ci c’est la bonne, mais les considérations mercantilistes et racistes seront à l’origine de l’implosion du groupe après trois albums : Burnin, Catch A Fire et Natty Dread. Après le départ de Peter Tosh et Bunny Wailer en 1974, Bob fait appel aux I-Three, Rita Marley, Judy Mowat et Marcia Griffiths. Bob Marley and the Wailers se lance à l’assaut du monde entier. Il trimballe sa guitare et montre ses dreadlocks sur, presque, toutes les scènes musicales du monde entier, au grand bonheur des fans. Si les plus anciens continuent de se rappeler de lui, les nouvelles générations se lancent dans sa découverte : «L’immortalité n’est pas vivre éternellement, mais c’est le souvenir qu’on laisse dans l’esprit des gens», soutenait Napoléon Bonaparte.

Elimane BARRY
Professeur d’anglais au lycée Maciré Ba de Kédougou,
eltonbarry87@gmail.com