Depuis près de deux ans, le sport sénégalais s’est installé dans une dynamique de gagne, sanctionnée par les résultats forts élogieux, obtenus par nos sportifs un peu partout dans le continent : première place africaine pour l’Equipe nationale A, demi-finale de Coupe du monde et trophée Uemoa pour les juniors de Joseph Koto, finale continentale pour le handball féminin, trophée continental pour l’Equipe de beach soccer, etc. Cette dynamique laisse-t-elle augurer de bonnes perspectives pour nos équipes nationales, desquelles nous attendons des trophées continentaux sénior et junior en janvier et mars 2017 ? L’on ne saurait être affirmatif au vu des réponses apportées par le ministre des Sports suite à l’interpellation de certains députés sur le cas de l’entraîneur national junior, Joseph Koto. En effet, interpellé par Madame le député Aïda Mbodji, la réponse du ministre est sans équivoque : «Le seul entraîneur  national ayant un contrat avec l’Etat, c’est Aliou Cissé. Les autres techniciens sont payés à la pige». «C’est le cas des entraîneurs des équipes nationales de basket, de handball. C’est très compliqué de payer des personnes qui ne travaillent que quelques mois». «Tout le monde est d’accord que Koto fait du bon travail, et on n’acceptera pas qu’il  soit lésé.» La réponse du ministre crédité, du reste d’un travail excellent à la tête de son département, suscite en nous une triple interrogation : i) Si le paiement à la pige s’explique par le fait de ne travailler que quelques mois, pourquoi l’entraîneur national qui est soumis aux mêmes conditions de travail bénéficie-t-il d’un traitement spécial (contrat de travail) ? ii)  Comment quelqu’un qui a des responsabilités aussi lourdes que celles du choix des acteurs, des stratégies et tactiques à mettre en œuvre, de leur conduite et d’en répondre en cas d’échec, peut-il être soumis à une rémunération à la pige ? iii) Comment comprendre qu’au moment où notre Ad­minis­tration publique inaugure l’ère de la Gar (Gestion axée sur les résultats) et des contrats de performance, sans lesquels l’atteinte des objectifs du Pse ne saurait être garantie, que l’on puisse penser un seul instant faire travailler encore des personnes sans contrat, moyen par lequel il est défini les droits et devoirs des parties ? Cette dernière interrogation est d’autant plus fondée que le sport qui est inscrit en bonne place dans le Pse, en tant pourvoyeur d’emplois pour les jeunes, est baptisé Plan sport emploi qui lui confère l’appellation de frère jumeau de ce dernier (Pse) dixit El Hadji.
Mamadou Ba, consultant en management du sport, journal Le Soleil du 27 juillet 2016.
La consolidation et la pérennisation d’acquis, quel que soit le domaine concerné, devraient découler des fruits d’une planification stratégique et opérationnelle reposant sur une bonne définition des objectifs et des moyens. La haute compétition ne peut plus s’accommoder du pilotage à vue. Tout doit être planifié, comme en témoignent les propos de l’entraîneur malien au lendemain de la défaite de son équipe face aux juniors de Joseph Koto : «En réalité, le Mali ne fait rien pour gagner une coupe. Tous nos résultats obtenus dans le football, c’est grâce au talent des joueurs et des entraîneurs. Nos équipes ne se préparent pas pour monter sur le plus haut sommet. Le talent et la volonté ne suffissent toujours pas. Il faut une bonne préparation. Et cela manque à nos sélections nationales. Le hasard ne marche pas toujours. Les joueurs doivent être préparés sur tous les plans.»
Ces propos de l’entraîneur malien, au-delà du message qu’ils véhiculent sont loin de contraster dans le fond avec les réalités que nous vivons et qui ne peuvent pas être occultées par la victoire de l’équipe de Koto, quelle que soit son importance. Combien de fois avons-nous entendu les sportifs sénégalais faire allusion aux conditions de préparation souvent déplorables de nos équipes nationales pour se consoler des désillusions nées des nombreux échecs essuyés par nos équipes nationales. Unanimement, les sportifs énoncent des discours interrogatifs du genre : «Que faisons-nous pour battre nos adversaires ? Est-ce que nous méritons réellement de battre nos adversaires ?».
Tout compte fait, la réponse du ministre nous autorise à penser que les résultats obtenus par Joseph Koto découlent plus d’un fruit du hasard que d’une politique savamment bien élaborée et qui lui garantit, en tant qu’homme-orchestre, des émoluments décents pour le préserver de l’angoisse des dépenses quotidiennes qui hantent tous les pères de famille que nous sommes, et ce faisant, lui permettent de travailler en toute sérénité. La réalisation des objectifs est une ambition qui appelle des moyens techniques étayés bien entendu par des ressources financières dont l’allocation ne saurait exclure l’homme à la baguette qui met en œuvre les politiques définies. Les résultats obtenus dans le secteur privé ne découlent d’aucun miracle ; ils sont les fruits d’une synergie des moyens qui confère un traitement conséquent à l’homme sans qui rien ne peut être entrepris et réussi au cœur des politiques. A l’instar du chef de production dans une usine, nos entraîneurs devraient être mis dans d’excellentes conditions de travail. Sous ce registre, nous pensons par souci d’efficacité qu’il est souhaitable que les entraîneurs participent aux missions d’exploration des sites devant loger les joueurs, d’autant plus que la finalité leur revient. Nous admettons toutefois que la dichotomie qui existe dans les relations entre le ministère responsable de la politique sportive de la Nation et la Fédération à la fois délégataire de pouvoir de ce dernier, et tirant une certaine légitimité des textes de la Fifa, n’est pas de nature à faciliter les choses pour l’Etat. Il sied donc pour les deux parties de travailler en parfaite intelligente dans l’intérêt du Peuple sénégalais. Il revient aux fédéraux de comprendre que s’ils jouissent du privilège de partager les retombées des résultats sportifs, les échecs (surtout quand ils sont suivis d’émeutes) sont totalement imputés au ministère qui en répond devant le Peuple. Sous ce rapport, il importe d’être cohérent dans la démarche si l’on veut remporter des trophées continentaux, car le hasard ne marche pas toujours, comme disait l’autre.

En phase avec le ministre, Joseph Koto ne doit pas être lésé
Seul entraîneur à avoir remporté définitivement le trophée de l’Uemoa pour l’avoir personnellement gagné à trois reprises, après une place de demi-finaliste de la Coupe du monde des U20, Koto fait la fierté de tout un Peuple et mérite, au-delà des honneurs de la Nation, de bénéficier d’un contrat de travail en bonne et due forme qui lui préserve sa dignité. L’existence d’un tel contrat (ne serait-ce qu’un Cdd avec clause libératoire en cas de résultats insuffisants) comme cela se fait partout ailleurs dans le monde le mettrait hors des contraintes liées aux charges familiales quotidiennes, le dépouillerait de toute forme de stress et l’installerait dans les meilleures conditions de travail pour nous amener le trophée continental en mars 2017,  après bien sûr celui des séniors avec Aliou Cissé que tout le Peuple sénégalais attend. Au vu des différentes réactions des populations qui entrevoient l’avenir de notre football avec beaucoup d’optimisme, les résultats des juniors avec Koto pourraient constituer une émulation pour les hommes de Aliou Cissé. Joseph Koto a tout donné au football sénégalais ; d’abord en tant que joueur (nous avons en souvenance le but égalisateur qu’il a marqué contre le Maroc à Demba Diop dans les toutes dernières minutes, au prix d’un sacrifice qui l’a vu reprendre la balle presqu’à terre dans une forêt de jambes marocaines) et ensuite en tant qu’entraîneur national pour les résultats que nous connaissons. On ne peut s’abstenir d’évoquer les 75 minutes de beau football qu’il nous a gratifié à Abidjan avant de sombrer suite au relâchement de quelques-uns des joueurs.

Le sport, composant essentiel du «parti de la demande sociale»
Fort longtemps attendu, le sacre continental en football que laisse entrevoir cette dynamique enclenchée est devenu presque une demande sociale et sous ce rapport il doit être inscrit en bonne place dans le «parti de la demande sociale» qui, d’après le président de la République, reste sa préoccupation majeure. La quête d’un sacre continental doit aller au-delà des échéances de  janvier et mars 2017. Pour que cela puisse être, il nous faut une politique sportive adossée à une charte des valeurs qui prend en compte le traitement salarial de nos entraîneurs nationaux, les responsables au premier rang des échecs et des réussites, même si l’ingratitude de leur métier leur ôte ces dernières.
Cette contribution nous est dictée par la crainte de voir s’effilocher la dynamique sous-tendue par une volonté politique avec l’implication personnelle du président de la République. Il résulte de cette volonté politique la détermination du ministre des Sports dans les chantiers de réhabilitation des infrastructures. Autant d’efforts ne devraient pas être plombés par une croyance bien sénégalaise, celle du «akh» (le traitement injuste) infligé au vaillant Joseph Koto.
Monsieur le ministre, pour avoir contribué à apaiser le climat entre l’instance fédérale et la tutelle, gage de réussite, votre part contributive dans la dynamique que vit notre football ne souffre d’aucune contestation. Toutefois, il vous revient la responsabilité historique de pérenniser tous ces acquis en corrigeant les distorsions, y compris celles qui frappent les entraîneurs nationaux.
Ce plaidoyer va au-delà de la personne de Koto qui n’est qu’un prétexte pour nous permettre de nous prononcer sur un sujet qui préoccupe les Sénégalais, dont la conviction est forte qu’aucune entreprise ne peut aboutir avec succès si elle n’est pas sous-tendue par des principes d’équité et de justice.
Mamadou FAYE – Grand-Yoff