«Espions» ou «travailleurs de l’ombre», les superviseurs ont accompagné Aliou Cissé et son staff lors de la Can 2021 qui a vu le sacre du Sénégal pour la première fois. Membre de ce collège de techniciens, Bassouaré Diaby décortique leur mission au Cameroun.Quel est le sentiment qui vous anime après le sacre de l’Equipe nationale lors de la Can 2021, en tant que technicien superviseur des adversaires des Lions ?

Un sentiment de grande fierté, comme tous les Sénégalais, heureux de remporter la première Can de l’histoire de notre football. Ensuite, j’ai une double satisfaction parce que je faisais partie de ceux qui étaient chargés de faire la supervision pour le Sénégal. C’est une satisfaction de plus. C’est vrai que ce n’est pas la première fois que je le fais, mais cette fois-ci, c’était la bonne.
Qu’est-ce qui vous a marqué dans la mission qui vous a été assignée ?
Cette fois-ci, on a vraiment élargi la palette des discussions. Il y a eu des discussions sur l’ensemble des problèmes de l’équipe d’une manière générale et des adversaires. Les échanges ont été très fructueux. L’autre innovation, c’est que d’habitude, on ne pouvait cibler que quelques matchs pour les observer. Cette fois-ci, tous les matchs ont été supervisés. On avait une banque de données sur l’ensemble des équipes. Il n’y avait pas une seule équipe qui pouvait rencontrer le Sénégal qui n’a pas été observée trois ou quatre fois. Même si le dernier mot revient à l’entraîneur, les discussions entre collègues, ça nous a poussés à prendre les meilleures décisions.

Vous étiez à Garoua, comment cela s’est passé sur place ?
J’ai eu à superviser la poule de l’Egypte, du Nigeria, de la Guinée-Bissau et du Soudan. J’ai pu superviser les phases de poule. Ensuite, dans la même ville, quand la Tunisie est venue pour les huitièmes de finale, elle a trouvé le Nigeria là-bas. La Tunisie a sorti le Nigeria. Je suis resté pour superviser les quarts de finale. La Tunisie a rencontré le Burkina. J’avais déjà quelque chose sur l’Egypte qu’on a rencontrée en finale et le Burkina en demi-finale. Après les quarts, j’ai rejoint le groupe à Yaoundé.

Il y a une grosse responsabilité quand on est superviseur. Est-ce qu’il y a des moments de crainte de se tromper sur les éléments qu’on donne sur l’adversaire ?
Il faut comprendre que sur chaque équipe, on a deux ou trois rapports de différents collègues. J’ai envoyé un rapport sur le Nigeria, l’Egypte, la Tunisie et le Burkina. Les autres en ont fait autant. Quand tu multiplies 4 par 4, ça fait 16. Plus les matchs qu’on avait joués en poule. Il faut se dire que le travail des superviseurs a vraiment commencé au niveau des quarts. On ne craint pas de se tromper parce que c’est un travail avec des discussions, parfois contradictoires, mais des discussions franches pour aider vraiment l’entraîneur à prendre les meilleures décisions.

Qu’est-ce qui a été le plus difficile dans cette mission qui vous a été assignée ?
Le plus difficile, concernant mon cas, est le fait de quitter Douala pour rejoindre Garoua. Ça fait 1400 kilomètres. La mission de supervision est secrète. Tu ne peux pas aller avec les couleurs de l’Equipe nationale. On se met en caftan. On cherche la meilleure place pour pouvoir mieux observer, prendre des notes, se coucher tard pour faire des rapports, jusqu’à 2h à 3h du matin. Mais c’est passionnant. Quand on ne travaille pas seulement pour le staff, mais pour le Peuple aussi, ça donne beaucoup d’énergie aux gens. On ne sent pas la fatigue. C’est maintenant qu’on commence à sentir la fatigue. Il y a aussi le temps de travail qui a duré un mois.

Vous formiez quand même une bonne équipe de superviseurs…
Effectivement ! Quand tu as tout le staff plus quatre autres entraîneurs comme Amsatou (Fall) qui a été Directeur technique national, Serigne Saliou Dia qui est l’entraîneur des U17, Malick Daff, coach des U20, et moi, il y a un bouillonnement. Après discussions, les gens se retrouvent dans les stratégies à mettre en place. Ça c’est intéressant. On ne peut pas dire qu’il y a un élément qui a fait qu’on a gagné. C’est un ensemble de choses. Chaque élément apporte une clarté dans les choix. C’est pour cela qu’on a ce résultat qui a été bâti en parfaite collaboration avec le staff technique dirigé par Aliou Cissé.

Avez-vous été surpris par le parcours, la prestation de l’Egypte dans cette compétition ?
Pas du tout ! On les attendait de cette façon. On savait que c’est une équipe qui donne le ballon. Vous savez, l’Egypte et le Burkina sont deux équipes qui n’ont pas une grande possession. Elles n’ont pas un pourcentage important au niveau de la possession. Elles vous laissent le ballon. Ce sont deux équipes qui ont un football différent, mais qui sont très dangereuses. L’Egypte n’a pas besoin de dominer pour gagner. Quand une équipe est comme ça, on ne sait pas ce qu’il faut faire. Regarde les deux ou trois tirs qu’ils ont eu à avoir pendant la finale, ils pouvaient marquer et il est difficile de leur mettre un but. Si on n’avait pas un gardien comme Mendy (Edouard), on pouvait être facilement éliminés. Mais ce qui est intéressant, c’est que je vois une certaine maturité de l’Equipe du Sénégal. Pendant plusieurs années, on vient, on fait le jeu et on perd à la fin. C’est le cas lors du quart de finale contre le Cameroun. Aussi contre l’Algérie en finale de la Can 2019. Cette fois-ci, à part le match contre le Cap-Vert où on a pressé pendant les 20 premières minutes, on n’a toujours presque pas dominé à 100%. Mais en deuxième période, l’équipe monte en puissance. Ce sont les marques d’une grande équipe. Parfois, il ne faut pas venir pour faire le jeu. Ce sont des calculs. L’Equipe d’Egypte nous a montré qu’elle peut être dominée, mais à la fin, c’est elle qui gagne. Ce fut le cas contre la Côte d’Ivoire, contre le Cameroun aussi. Ce qu’ils n’ont pas pu faire contre le Sénégal. Mais l’Egypte reste un gros morceau.

Justement, comment voyez-vous la double con­frontation lors des barrages du Mondial 2022 pré­vus fin mars ?
On a nos plans. Le travail de supervision va encore nous servir. Mais comme je l’ai dit la dernière fois, le résultat, ce n’est pas au match retour, mais c’est au match aller. Il faut faire un excellent résultat au Caire. Il faut essayer de marquer là-bas. Si on peut gagner, c’est tant mieux, sinon faire un nul avec des buts. Maintenant pour la stratégie, on a nos plans. On connaît l’équipe. Ils nous connaissent aussi. Ensuite, ils sont blessés suite à leur défaire en finale. On revoit Salah en larmes, ça veut dire que cette défaite leur est restée à travers la gorge. Vous comprendrez que je ne puisse rentrer dans les détails. Mais le travail continue.
Recueillis par Woury DIALLO – wdiallo@lequotidien.sn