Cannes 2023 – Palmarès de la compétition : L’Afrique brille sur la Croisette

Déception du côté de la compétition officielle dans une édition en «demi-teinte», selon nos confrères, «carton plein» du côté de la section «Un Certain regard», celle du cinéma de découverte où les quatre films africains sélectionnés ont été primés. Le cinéma africain est celui de demain.
«Etre ici, pour une première fois, à Cannes dans la sélection officielle la plus prestigieuse, était déjà en soi un honneur redoutable à assumer.» Ramata-Toulaye Sy, 36 ans, benjamine franco-sénégalaise de la course à la Palme d’Or, avec les amours tragiques de Banel et Adama sur fond de cataclysme climatique, a la tête sur les épaules. Une tête froide et déterminée. «La concurrence est implacable», a-t-elle répété à l’envi, déclinant off the record, ses doutes les plus réalistes sur ses chances d’une quelconque récompense. Et le verdict lui a donné raison. Mohammed Lakhdar-Hamina demeure à ce jour le premier et le dernier africain à avoir jamais reçu la distinction suprême sur la Croisette. Pour mémoire, c’était en 1975, voilà près d’un demi-siècle. Ce qui ne saurait éclipser les brillants accessits reçus naguère par Souleymane Cissé (Yeelen) ou encore, plus récemment, par Mati Diop (Atlantique).
Films en compétition : L’Afrique à la Croisette des chemins
Bredouille, Ramata la débutante ? Ni plus ni moins cette année qu’un cortège d’illustres cinéastes tels les Italiens Bellochio et Moretti, tel Scorcese, Martin «Magic» Scorcese en personne, ou encore Ken Loach, membre du club restreint des doubles palmés voués à jouer les faire-valoir du scénario pré-écrit d’une transmission générationnelle qui se voulait la thématique de cette 76e édition du Festival international du film de Cannes.
Troisième femme dans l’histoire de la Palme d’Or
Les annales retiendront que c’est à une femme, pour la troisième fois seulement de l’histoire de la Palme d’Or, après Jane Campion et Julia Ducournau, qu’a été attribuée la distinction suprême, un bijou ciselé par la maison Chopard, sponsor parmi d’autres marques du luxe français, d’une manifestation censée mettre en valeur un cinéma d’auteur, soutenu en l’occurrence, par des fonds publics et dont Justine Triet, Anatomie d’un Chute, récipiendaire de la Palme d’Or 2023, est un pur produit. Elle a dénoncé la «marchandisation de la création» se conformant à la tradition cannoise de la provocation, non sans abandonner derrière elle, le parchemin que lui avait remis la star Jane Fonda, égérie d’une autre grande marque.
Un film procès comme au temps de Sidney Lumet
Le clip vidéo où l’ex-star de Barbarella balance le diplôme en question dans le dos de la réalisatrice, a aujourd’hui accumulé plus d’audience sur Internet que la version officielle de la cérémonie. Une séquence qui aurait pu être écrite et tournée par le Suédois, Ruben Oslund, le président du jury 2023, autre double palmé cannois. A part cela, il convient de reconnaître que le film vainqueur a fait une certaine unanimité autour de lui : un «film procès» sur une femme accusée d’avoir tué son mari, où abondent les doutes et les ambiguïtés, selon la loi d‘un genre qui a déjà connu ses heures de gloire au temps de Sidney Lumet (1957).
Prix d’interprétation pour le rôle d’un «monsieur pipi»
Pour faire vite, rappelons que le Grand Prix est allé au très introverti britannique, Jona-than Glazer, pour une glaçante évocation des environs du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, que le prix de la mise en scène a récompensé le biopic du roi du pot-au-feu Dodin Bouffant à la sauce du franco-vietnamien Trân Anh Hùug, fameux pour L’Odeur de la Papaye verte et que le dépressif finlandais Kaurismaki a été distingué pour ses Feuilles mortes parfumées d’une ironique mélancolie qui lui colle à la peau. Et pour finir, le prix du scénario est allé, encore une fois indirectement, au grand maître japonais, Kore Eda, pour Monster, narrant les amitiés particulières entre deux garçonnets sexuellement indéterminés, qui vont ruiner la carrière de leur instituteur.
Ramata-Toulaye Sy, réalisatrice : «Banel et Adama représente tout ce que je suis»
Le retour du revenant, Wim Wenders, a été lui salué par un prix d’interprétation pour son acteur Koji Yakusho dans Perfect Days : l’histoire d’un monsieur pipi tokyoïte, également primée par le Jury Œcuménique de Cannes. En toute humilité, le comédien japonais a revendiqué être devenu un expert en récurage de porcelaine à l’issue du tournage, ça ne peut s’inventer.
Carton plein pour le cinéma africain de demain
Et l’avenir là-dedans ? C’est cette fois du côté de l’Afrique que ça se dessine. Présidé par l’acteur Améri-cain, John C. Reilly, la section Un certain regard, celle du cinéma de découverte, riche cette année de 8 premiers films, a particulièrement distingué la nouvelle génération des cinéastes africains, à laquelle appartient Ramata-Toulaye Sy. Prix du jury et prix de la mise en scène ont été décernés notamment à deux films de la nouvelle vague marocaine : Les Meutes de Kamal Lazraq (1er film) et Asmae El Moudir pour La Mère de tous les mensonges, chroniqués dans les colonnes du journal Le Quotidien.
Projection de Banel et Adama : Ramata-Toulaye Sy sous les projecteurs
Augure du Congolais Baloji (1er film) s’est vu attribuer le prix de la Nouvelle Voix tandis que le Prix de la Liberté était décerné à Goodbye Julia, du Soudanais Mohamed Kordo-fani (1er film). Soit un carton, puisque les quatre films africains en lice dans cette section d’un total de 20 films sélectionnés en amont ont reçu plus qu’un accessit. Cependant, le traditionnel Prix Un Certain Regard a récompensé le film How to have Sex (Comment Faire l’amour) de l’Anglaise, Molly Manning Walke, un questionnement sur le consentement sexuel. Enfin, la deuxième impétrante africaine à une Palme d’Or, la Tunisienne Kaouter Ben Hania, a été distinguée tout comme la Marocaine Asmae El Moudir par l’Œil d’Or honorant le meilleur documentaire. Pour Kaouter, également, le Prix de la Citoyenneté, une récompense remise sous l’égide du Grand Orient, en présence de son Grand Maître. En hommage au fondateur du Festival l’intellectuel français et maçon Jean Zay.
Par Jean-Pierre PUSTIENNE (Correspondance particulière)