Une des décisions majeures du P²résident Macky Sall a été d’organiser, dès son arrivée à la Magistrature suprême, les concertations nationales dans le secteur de l’éducation. Cette initiative a été saluée à l’époque par l’ensemble des acteurs de l’éducation et de l’enseignement supérieur, d’autant plus que le secteur avait été longuement paralysé par des grèves multiples.
Ainsi, furent organisées du 6 au 9 avril 2013 les plénières de la Concertation nationale pour l’avenir de l’enseignement supérieur (Cnaes). Plus de 300 invités venus de tous les segments de la société sénégalaise participèrent à cette grande rencontre à l’issue de laquelle 78 recommandations consensuelles furent arrêtées. Ces recommandations ont aussitôt fait l’objet d’une évaluation technique et financière impliquant les techniciens du gouvernement, les membres du comité de pilotage de la Cnaes, les décideurs des universités ainsi que les partenaires techniques et financiers. C’est ce travail minutieux mené dans une dynamique inclusive et hautement patriotique qui a permis d’organiser le premier Conseil présidentiel sur l’enseignement supérieur et la recherche. Cette rencontre – la première du genre au Sénégal – a abouti à la prise de onze (11) décisions par le président de la République. Ce document d’une quinzaine de pages comportant les décisions et directives constituait désormais la feuille de route de l’enseignement supérieur pour la période 2013-2022.
Dans ce propos, nous avons choisi de mettre l’accent sur la décision n° 7 relative à la carte universitaire 2013-2022. Son élaboration, après celle de 2002, découlait d’un diagnostic sans complaisance de notre système d’enseignement supérieur qui prenait en compte à la fois les contraintes, les opportunités et les défis du 21ème siècle dans le domaine de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Cette carte était aussi guidée par le souci de répondre aux préoccupations urgentes de notre système d’enseignement, en l’occurrence l’épineuse question de l’orientation des bacheliers, mais également d’équité territoriale. En effet, le diagnostic avait révélé que notre carte universitaire épousait une implantation essentiellement côtière (Dakar-Saint-Louis-Zi­guin­chor). Il fallait, pour des raisons d’équité territoriale, rompre avec cette logique néocoloniale de l’enseignement supérieur et construire une nouvelle carte universitaire qui consolide l’intégration nationale et africaine.
Pour répondre aux questions conjoncturelles de l’admission des bacheliers dans les universités, deux options majeures furent retenues par le gouvernement. Premièrement, il fallait, de toute urgence, décider de l’orientation des bacheliers dans le privé, notamment dans les filières reconnues à l’époque par le Conseil africain et malgache de l’enseignement supérieur (Cames) ou par l’Autorité nationale d’assurance qualité pour l’enseignement supérieur (Anaq-Sup). Ainsi, dès mars 2013, 6 666 nouveaux bacheliers furent orientés dans les établissements privés d’enseignement supérieur. Deuxièmement, pour élargir l’accès à l’enseignement supérieur, il y a eu la création, dès septembre 2013, de l’Université virtuelle du Sénégal (Uvs) et son démarrage en 2014. La matérialisation de ces décisions permettait de régler le flux important de nouveaux bacheliers et de favoriser la montée en puissance des Universités Alioune Diop de Bambey, Assane Seck de Ziguinchor, Gaston Berger de Saint-Louis et Iba Der Thiam de Thiès. Quant à l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar, il avait été arrêté la décision de réduire progressivement sa population estudiantine afin de retrouver à l’horizon 2022 un effectif de 60 mille étudiants. Ce choix visait à améliorer le positionnement de l’Ucad dans le ranking mondial des universités, notamment celui de Shanghai. C’est pourquoi entre 2015 et 2018, l’Ucad avait vu ses effectifs de nouveaux bacheliers baisser autour de vingt mille (20 000) par an jusqu’à atteindre un effectif global de soixante-seize mille (76 000) étudiants.
A côté de ces mesures urgentes, la nouvelle carte universitaire serait intelligemment, rationnellement et équitablement déployée sur toute l’étendue du territoire national. Ainsi, furent lancés dans une première phase les projets de création de l’Université Amadou Makhtar Mbow (Uam) à Diamniadio et de l’Université du Sine Saloum El Hadj Ibrahima Niasse (Ussein) de Kaolack. Durant cette première phase, il fut aussi décidé de créer des infrastructures pédagogiques à l’Uadb, à l’Uasz, à l’Ugb et à l’Université de Thiès tandis que l’Ucad bénéficierait d’une réhabilitation de certains amphithéâtres, avec le financement du Projet de gouvernance et de financement pour l’enseignement supérieur (Pgf-sup). L’élargissement de la carte universitaire était aussi envisagé dans la perspective de la création des antennes délocalisées de l’Uasz à Kolda et Sédhiou et des antennes de l’Ugb à Guéoul et Matam. Après cette première phase, le Sénégal accueillerait l’Université du Sénégal oriental à Tambacounda (Usot) et l’Université arabo-islamique (Uai). Le site de l’Usot avait été identifié et le projet scientifique élaboré. Les travaux de cette université devaient être lancés depuis 2019.
Dans le même sillage, un réseau d’Instituts supérieurs d’enseignement professionnel (Isep) dans les quatorze (14) régions et d’Espaces numériques ouverts (Eno) de l’Uvs dans les quarante-cinq (45) départements devait accompagner la carte universitaire pour un maillage de l’ensemble du territoire national. Nous ne nous étendrons pas outre mesure sur les initiatives et décisions gouvernementales prises pour accompagner et encourager des initiatives, comme celle de la création de l’Université Khadimou Rassoul à Touba, et de celles d’autres acteurs du secteur privé. Tout cela devait résonner en cohérence avec la politique gouvernementale de déploiement de la carte universitaire afin de créer, à l’horizon 2022, un espace national intégré d’enseignement supérieur. Sans aller plus en détail dans la déclinaison de cette carte définie et assumée par le Président Macky Sall en 2013, il convient, quelle que soit notre appartenance politique, syndicale ou idéologique, de reconnaître que cette vision a le mérite d’être cohérente, réfléchie et ambitieuse pour notre pays. Cette vision stratégique du développement de l’enseignement supérieur entrait parfaitement en harmonie avec le Plan Sénégal émergent (Pse). Toutes les équipes techniques, administratives et l’ensemble des forces sociales progressistes avaient une parfaite connaissance de cette vision et s’employaient quotidiennement à la matérialiser pour être au rendez-vous de 2022. C’est en parfaite connaissance de cette ambition hautement patriotique que je demeure aujourd’hui perplexe et inquiet par rapport à la marche de notre système d’enseignement supérieur. Tout porte à croire que cette feuille de route définie par le président de la République est abandonnée, délaissée ou reniée pour laisser place à un pilotage à vue de notre système d’enseignement supérieur et de notre carte universitaire en particulier.
Depuis quelque temps, la vision consistant à faire de l’enseignement supérieur et de la recherche «un levier du développement économique et social du Sénégal» semble malheureusement ne plus constituer un référentiel stratégique pour le même Président qui l’avait assumé en 2013. Deux décisions gouvernementales justifient mon point de vue :
En août 2019, la décision de suspendre brusquement l’orientation des bacheliers dans les Etablissements privés d’enseignement supérieur (Epes), sans véritablement procéder à une évaluation technique, financière et pédagogique de cette mesure, a installé les universités publiques dans un capharnaüm indescriptible. Sureffectifs d’étudiants, surcharges de travail des enseignants et du personnel administratif, calendrier universitaire perturbé, absence d’horizon clair sont, entre autres, les effets nocifs engendrés par cette mesure prise à l’emporte-pièce. Je suis fondé à croire, en attendant une étude sérieuse sur la question, que l’enveloppe financière consacrée à la prise en charge de ce flux de nouveaux bacheliers par les universités publiques – par exemple le coût d’heures supplémentaires que cela engendre – dépasse facilement la dette que l’Etat devait aux universités privées et qui fut jadis la raison avancée pour justifier cette décision.
Récemment, le Président Macky Sall, à l’occasion de sa tournée économique dans la région de Matam, a annoncé la création de l’Université de Matam. Son démarrage est imminent, des équipes de pilotage sont mises en place et les réunions ont démarré. L’annonce de la création de cette université ne figure nullement dans la feuille de route définie et assumée par le même président de la République en 2013 à l’issue de la Cnaes. Pour Matam, il y était prévu une antenne de l’Ugb, après celle de Guéoul. En même temps, un Isep dont le terrain avait été identifié, les travaux lancés, y était aussi prévu. Cet Isep a démarré ses enseignements dans des conditions catastrophiques – location de bâtiments – pour faire face à la fameuse mesure de suspension de l’orientation des bacheliers dans le privé. Autour de Matam, les Eno de l’Uvs ont été lancés à Orkadiéré et Boki Diawé. Finalement, la région de Matam se présente comme celle où le tissu de l’enseignement supérieur demeure le plus dense.
Dès lors, ne sommes-nous pas fondé à nous poser les questions suivantes :
Pourquoi la création d’une université à Matam serait-elle plus urgente que la création de l’Université du Sénégal oriental de Tambacounda (Usot) dont le projet pédagogique est défini, le site déjà identifié et le projet architectural déjà élaboré par l’Agence de construction des bâtiments et édifices publics (Acbep) du ministère en charge de l’Urbanisme ?
Pourquoi l’Université de Matam serait-elle plus urgente que la finition des travaux des antennes de l’Uasz à Kolda et celle de l’Ugb à Guéoul, dont certains bâtiments étaient déjà sortis de terre ?
Pourquoi l’Université de Matam dont le démarrage est imminent serait-elle plus urgente que l’achèvement des projets d’infrastructures pédagogiques en cours à l’Uasz et l’Uidt de Thiès ?
Pourquoi l’Université de Matam serait-elle plus urgente que la finition de plus de quinze Espaces numériques ouverts (Eno) de l’Uvs en arrêt depuis 2 ans et qui permettrait à cette université de mieux faire face à l’afflux massif de bacheliers ?
A-t-on abandonné la carte universitaire de 2013 au profit d’un pilotage à vue de notre système d’enseignement ?
Qu’en est-il de l’équité territoriale ?
Où en est-on avec les travaux de l’Uam et de l’Ussein pompeusement lancés en 2015 et qui peinent aussi à sortir de terre ?
Comment comprendre que l’Uam se retrouve à louer des bâtiments à Dakar – son siège est situé à l’avenue Bourguiba – pour accueillir ses étudiants alors que les chantiers continuent de végéter à Diamniadio ?
Face à toutes ces questions, nous sommes fondé à croire que notre système d’enseignement supérieur est aujourd’hui abandonné par les pouvoirs publics. Le président de la République, après s’être tant investi au début de son premier mandat, semble démissionner. Il me sera encore difficile de comprendre les raisons qui empêchent son gouvernement à mettre en œuvre la feuille de route en matière d’enseignement supérieur qu’il a lui-même définie au profit d’une politique de tâtonnements. Au-delà du président de la République et de son gouvernement, tout laisse à penser que la communauté universitaire nationale, les forces progressistes et syndicales notamment ont aussi démissionné de leur rôle d’alerte et de veille de notre système d’enseignement supérieur et de recherche.
Mouhamadou Moustapha SOW dit «FOYRE»
Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad)