Casamance – Changements climatiques : Plant pour sauver la forêt

Dossier réalisé par Ibou MANE – En Casamance, un diagnostic de l’état actuel de la forêt du département de Bignona (avec plus de 100 mille ha et 85,98% du patrimoine forestier) et de son mode de gestion, montre un écosystème très appauvri : le bois destiné aux artisans est devenu rare, la diversité des espèces régresse. L’ampleur de la récolte de bois de chauffage est inquiétante, alors que les produits forestiers non ligneux sont à préserver. En dépit d’une protection réglementaire extrêmement stricte dans bien des contrées. Seule éclaircie à cette montée des périls, la commune de Kataba 1, où les ressources forestières sont importantes pour la survie de la communauté, bénéficie de l’accompagnement du Karoghen d’un coût de plus 1,563 milliard, pour une bonne et rationnelle gestion des ressources naturelles. Le Quotidien a fait un saut dans cette contrée où les populations échafaudent des stratégies pour sauver leurs forêts et éliminer la pauvreté. Dans un contexte de changement climatique, le Nord Sindian, qui supporte les bruits de bottes, les violences, l’exploitation illégale du bois destinée à la Gambie, reverdit. Et revit.
Le péril devient encore plus grand. Publié hier, le rapport du Giec montre de graves effets du réchauffement en Afrique, qui exigent une adaptation rapide et de concrétiser financièrement un certain nombre de mesures d’adaptation. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental, l’Afrique risque une perte de biodiversité généralisée. Au-dessus d’un degré et demi de réchauffement planétaire, la moitié des espèces vont perdre 30% de leur effectif ou de leur habitat. Au-delà de deux degrés, c’est l’extinction assurée de 7 à 18% des espèces et de 90% des coraux d’Afrique.
En Casamance, poumon vert du Sénégal, la forêt est menacée de disparaître à plus ou moins brève échéance, à cause de l’action anthropique et d’une mauvaise politique de gestion par l’Etat, voire des communautés de ce milieu fragile. Et au niveau du département de Bignona, qui englobe 20 des 30 massifs forestiers de la région et où la dépendance des populations vis-à-vis des produits forestiers est manifeste, on note plus que jamais une surexploitation frauduleuse des ressources naturelles. En plus du contexte d’insécurité dû au conflit casamançais, aggravé par l’appel d’air de la Gambie où l’exploitation forestière est interdite, les conséquences sont bien sûr terribles : dans des contrées comme le Nord Sindian, c’est toute une surface jadis peuplée par des arbres multimillénaires, qui est en train de disparaître à petit feu. Etouffées par la précarité et la vulnérabilité, les populations vendent souvent des troncs d’arbres à vil prix. Cette situation est combinée aux faibles moyens notés au niveau des collectivités du Fogny, qui ne leur permettent pas de faire face à cette mafia organisée en coalition avec une main étrangère et qui s’active dans le trafic de ressources naturelles.
Forêt communautaire, une révolution environnementale
Face à cette situation périlleuse, la commune de Kataba 1, qui abrite une forêt classée et 12 forêts communautaires dont celle de Koudioubé, essaie de trouver la parade. Car si avec l’action anthropique et les changements climatiques les menaces sont également réelles sur l’environnement, on observe toutefois chez ces populations, un souci croissant de gestion et de développement durable des ressources forestières et une préoccupation accrue de sauvegarder et protéger la forêt. C’est la naissance d’une prise de conscience environnementale pour la sauvegarde de cette richesse, gage de survie pour les communautés.
Ce changement de comportements est né en 2016 et devient plus prononcé en 2019, avec le programme Karoghen III. D’une durée de 4 ans et 2 mois (janvier 2019 à février 2023), d’un coût estimé à plus d’1,5 milliard, il polarise les communes de Kataba I et Diouloulou pour des investissements et Djignaky et Sindian pour des accompagnements.
Aujourd’hui, les habitants de Kataba 1 ont décidé d’apporter des réponses appropriées à travers des activités de reboisement. Au niveau de la forêt classée de Koudioubé, qui polarise les villages de Koulobory, Koudioubé, Macouda et Madina Daffé, le niveau d’implication des communautés et des associations locales dans le cadre de la préservation et de la protection de leur environnement, est devenu «impressionnant».
Ces quatre villages sont entrés en guerre contre l’agression extérieure de leurs forêts. «Aujourd’hui, il y a des chefs de village, en passant par les jeunes, les femmes, les notables, les imams, c’est tout le monde qui est impliqué aussi bien dans la reforestation que pour la protection de cette forêt de 70 ha, qui abrite en son sein plusieurs espèces animales et où la chasse est interdite», informe Boubacar Diallo, président de la Forêt communautaire de Koudioubé.
En mutualisant leurs efforts, l’Association d’appui aux initiatives de paix et de développement (Asapid), très active dans le cadre de la protection de l’environnement et partenaire technique dans le domaine de l’environnement, l’Association Karamba et le programme Karoghen III réalisent un programme de reforestation de la forêt classée de Koudioubé. Cet engagement sera étendu dans 11 autres villages dont Samboulandian, Kataba I, Koudioubé Dombondir. Avec l’érection de 5 types de pépinières forestales dont des plants de venn, de link et d’anacarde, les plans sont clairs : «Il faut tenir compte qu’avant d’entamer les activités de reboisement à Koudioubé, on a fait l’inventaire de la forêt, la topographie pour savoir dans quel état elle se trouve, afin de voir ce qu’il y a à faire et à améliorer», note José Gimenez. Selon le coordonnateur de Karoghen III, ce volet reforestation a été enclenché en 2019 avec des sensibilisations des «collectivités locales sur la gestion de la forêt qui est une compétence transférée, la formation des surveillants et pépiniéristes, mais également celle des comités de gestion des ressources naturelles qui sont au nombre de 6, constitués par zone et au niveau communal». Ce dispositif de gestion environnementale a démarré la 1ère phase de reboisement en 2020. «Et aujourd’hui, le programme est à un total cumulé de 87 hectares reboisés sur un objectif de 100 ha. Et on espère le dépasser largement avec la saison 2021/2022», promet José Gimenez.
C’est l’ère de la révolution environnementale, entreprise par des acteurs de la commune de Kataba I pour une gestion durable de leur écosystème. Mamadou Famara Diop Badji, animateur du programme Karoghen au niveau de la zone de Kataba I, avance : «L’entretien de cette forêt passe chaque année par le reboisement, mais surtout par la sensibilisation des populations pour qu’elles puissent entretenir leur forêt à travers des pare-feux et autres.» Il poursuit : «Et cette année, le reboisement est axé sur le néré, le ditakh et le madd, des plants qui peuvent économiquement servir aux populations locales.»
C’est un ouf de soulagement pour ces populations qui vivent à côté de la forêt. Et elles peinent à vivre sans cette forêt saccagée. Comment résoudre un tel dilemme en conciliant les besoins des populations avec les impératifs de préservation et de protection de ces ressources naturelles ? «La population est consciente aujourd’hui, malgré tout, des enjeux du développement, que la diminution de la pluviométrie est également tributaire de la déforestation. C’est pourquoi, en parfaite collaboration avec des Ong, notamment le programme Karoghen, elles ont su, justifie-t-il, mesurer les dangers qui les guettent pour s’impliquer davantage par le biais de la sensibilisation sur la nécessité de protéger la forêt». «L’homme ne peut pas vivre sans la nature et l’environnement donne un sens à la vie. C’est pourquoi lorsque la forêt est menacée, elles ont décidé de se mobiliser pour prendre à bras le corps la restauration de cette forêt, afin de pouvoir répondre à leurs besoins et préserver l’avenir des générations futures», dixit Famara Diop Badji.
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