Du Nord au Sud, les acteurs de la pêche et les activistes se battent contre l’installation des usines de fabrication de poissons qui détruisent l’environnement marin et provoquent la surpêche.

De Cayar à Abéné, l’écho des revendications a la même tonalité. A Abéné, un village situé dans la région de Ziguinchor, au sud du Sénégal, à quelques kilomètres de la Gambie, la révolte couve pour dénoncer l’arrivée d’une nouvelle usine. Cette montée de la colère s’explique par l’impact de ces industriels sur la pêche et l’environnement marins. Et cela fait peur aux pêcheurs et tout le personnel, qui s’active autour de ce secteur, qui nourrit plus de 800 mille personnes dans ce pays.  Les mots sont forts pour décrire la souffrance actuelle. Surtout la peur du lendemain. « A ce rythme, notre survie tient à presque rien. Nous manifestons notre désaccord par rapport à l’implantation de cette usine de fabrique et d’exploitation de farine et d’huile de poisson », martèle Mor Mbengue, activiste à Cayar, qui lutte contre l’installation d’une usine dans ce quai de pêche. « C’est au gouvernement (sénégalais) de décider de mettre fin à cette anarchie, à cette prolifération d‘usines de fabrique de farine et d’huile de poissons. On a fait une marche pour alerter l’opinion sur la prolifération de ces unités industrielles à Cayar, troisième centre de pêche artisanale du Sénégal.

Ici, les populations ont besoin d’un bol d’air frais. Alors que l’emplacement de l’usine est dans une « zone habitable », qui risque de provoquer « des conséquences environnementales désastreuses avec le déversement des eaux usées et souillées et l’odeur nauséabonde que cela va engendrer. Des déchets et le caractère polluant de ces usines de fabrique de farine et d’huile de poisson » sont redoutés par les populations. Aux yeux de Mamadou Lèye, porte-parole du Collectif du Collectif Taxaawu Cayar, cette usine provoquera des «maladies respiratoires, entre autres.»  Il ajoute : «Nous nous dressons comme un seul homme pour nous lever contre cette tentative qui rame à contre-courant des principes et des codes de l’environnement. »

Aujourd’hui, le Conseil municipal et le collectif se déchirent sur l’existence d’une étude d’impact environnemental préalable à l’implantation d’une quelconque unité industrielle. M. Lèye enrage : « Le promoteur nous avait fait comprendre, à notre grande surprise, qu’il avait déjà fait une étude d’impact environnemental. Mais nous savons que personne dans la communauté n’y a été associé. C’était une audience sélective et nous n’avons jamais reçu la restitution. Et même par rapport à ce supposé cabinet qui était chargé de faire les études, aucun des Cayarois ne peut certifier que ses enquêteurs sont venus recueillir au sein de la population des avis ou faire des enquêtes, comme il se doit. Nous doutons de leur bonne foi et de l’opportunité d’implanter cette usine chez nous. »

Dans ce sillage, les promoteurs de l’usine ont voulu «amadouer» les populations en leur promettant des infrastructures de dernière génération et un poste équipé dans le cadre de sa Responsabilité sociétale d’entreprise (Rse). Mais, la pilule n’est pas passée. « Les exploitants nous font croire qu’ils vont utiliser des technologies de pointe, entre autres et nous promettent un poste de santé bien équipé, mais nous tenons à leur faire comprendre que notre santé n’a pas de prix, nous ne préférons pas un poste pour nous soigner, mais plutôt ne pas en disposer et préserver notre santé. Nous n’en voulons pas. Certes Cayar veut le développement, mais nous avons quand même besoin d’un développement sain, qui respecte notre cadre de vie, notre bien-être. »

Mis en cause dans cette affaire, le Conseil municipal de Cayar invoque des raisons de rentabilité économique pour justifier l’installation de cette usine de fabrique de farine et d’huile de poisson, qui charrie les passions. «Cayar a été choisie compte tenu du poids important de débarquement que nous avons ici. Ensuite les promoteurs sont passés par toutes les procédures normales avant de convier un cabinet pour faire une étude d’impact environnemental, qui a été adoptée par une validation technique régionale au niveau de Thiès le 12 février 2018. Il s’en est suivi une audience publique qui a été organisée au niveau du service départemental de Pêche pour une validation publique. Et le projet a été adopté par une très grande majorité des populations de Cayar». Alioune Ndoye, membre du Conseil municipal, rappelle que seules «trois personnes ont levé la main pour dire qu’elles sont contre le projet, mais tout le reste composé d’acteurs de la pêche avait adopté le projet parce qu’il savait que c’était pour l’intérêt des Cayarois». Selon le Premier-adjoint au maire, l’usine permettrait de «de régler le problème du surplus de captures  à Cayar» en faisant allusion à «l’abondance des quantités de poisson qui pourrissent au niveau de la plage» tout en espérant que «cette entreprise va régler ce problème avec l’achat de ce stock de poisson. Sans compter l’achat du poisson frais». M. Ndoye précise : «Le projet va générer 300 emplois directs et indirects au niveau de Cayar et sera très bénéfique pour les populations et il va booster le développement économique de Cayar. Il se veut catégorique : «Nous allons le défendre avec becs et ongle. Ça, il faut que les gens le sachent. L’exploitant va produire de la farine et d’huile de poisson avec une technologie de dernière génération. Donc l’impact dont ces gens-là font état n’existe pas. Beaucoup de mareyeurs qui habitent Cayar savent qu’il y a cette même usine à Joal. Et jusqu’à aujourd’hui on n’a pas encore entendu ou vu une personne tuée par les soi-disant effets néfastes qui proviendraient de cette usine. Et ce sont ces mêmes mareyeurs de Cayar qui vont vendre leur poisson là-bas », minimise M. Ndoye.

 Pourtant, le ministère de la Pêche, et de l’économie maritime, à travers M. Diène Ndiaye, directeur des industries de transformation de la pêche, était obligé de se jeter à l’eau pour mettre fin à la polémique. Il rappelle que son département « n’a jamais délivré une quelconque autorisation à la société » espagnole. Il estime que le ministère «est constant sur sa position de principe et n’est jamais revenu sur ses engagements. Le ministre de la Pêche n’a jamais modifié sa posture en émettant un avis favorable». « Un avis préalable favorable pour la construction d’une usine de farine de poisson est forcément matérialisé par un écrit et personne ne peut rapporter la preuve de l’existence d’un tel document », botte en touche la Direction des industries de transformation de la pêche. «Mieux, quand le ministre a été informé de la poursuite des travaux qu’il avait fait arrêter par la Direction de la surveillance et du contrôle de l’occupation du sol (Descos) il a aussitôt saisi le Gouverneur de la région de Thiès pour lui demander de prendre toutes les mesures nécessaires pour les arrêter immédiatement et sans délai», informe le ministère de l’Economie maritime. Finalement, le sous-préfet de Keur Moussa a pris un arrêté pour l’arrêt des travaux de la société.

Combat citoyen

Ce combat est aussi mené au Sud du pays par Thomas Grand et d’autres activistes. « Il faut y ajouter des conséquences environnementales locales désastreuses dues au fonctionnement de cette usine (déversement des eaux usées et souillées, odeur nauséabonde et toxique…). Les populations d’Abéné se sont mobilisées. L’usine a été même arrêtée provisoirement début mai 2018, le temps d’une enquête-publique…Les résultats de l’enquête ont été sans appel : plus de 90 % de la population s’opposent  au fonctionnement de cette usine », insiste Thomas Grand, appuyé par des hautes personnalités publiques comme l’ex-député Abdou  Sané, qui dénonce « une mafia au dessein inavoué, qui entreprend des initiatives contre les intérêts des populations de la Casamance» et l’érection d’une «unité industrielle qui a pu se construire sans respecter la procédure législative : il n’y a pas eu d’étude d’impact environnemental et social. »