Le grand large fait encore son lot de morts et nous arrache des jeunes par centaines. Le dernier naufrage d’une embarcation au large des côtes mauritaniennes, après avoir quitté la Gambie, avec à son bord des Sénégalais, Maliens et Gambiens, entre autres candidats à l’aventure, est assez révélateur d’une fuite en avant qui n’en finit pas. Ce dernier drame aura fait pour l’heure 25 morts, après que les garde-côtes mauritaniens ont pu porter assistance à une centaine de naufragés. Cette situation désastreuse de jeunes engloutis dans l’Atlantique et la Méditerranée finit par rendre insensible au point que chacune des tragédies ressemble à une brève de plus avec son bilan macabre, son lot de rêves brisés et sa dose de peine pour les proches des candidats à cette aventure.

De cette situation, ce que je trouve révulsant, pour ne pas dire répugnant, reste le silence coupable de nos pouvoirs publics. Les tenants actuels de la maison forte dont le président de la République et le Premier ministre, ont, dans leur courte carrière politique, beaucoup surfé sur la rhétorique d’une proximité avec le Peuple, une conscience des difficultés que traversent ces jeunes, et ont toujours vendu la carte d’une volonté d’affronter sans concession cette problématique. On ne peut que constater leur silence coupable face à la mort de jeunes qui, pour certains, ont cru en eux, avec des envolées lyriques pour résoudre toutes les peines du monde, donner travail et richesse à tous ; on ne peut pas ne pas pointer du doigt un cynisme qui frôle l’arnaque.

Nouakchott – Drame de l’émigration irrégulière : Vies naufragées

Dans ces mêmes colonnes, nous disions, dans une chronique intitulée «Vague de désespoir et marchands de morts» en mars dernier, que les drames de l’émigration clandestine «doivent surtout inviter à une réelle introspection sur une faillite collective d’une société. Ce pays aura plongé dans une incompréhension totale avec sa jeunesse pour qu’elle opte de voguer vers le grand bleu à force de désespoir et de déceptions».

On ne peut qu’être peiné en voyant la vidéo brutale de corps sans vie échoués d’une embarcation, devenue virale ces deux derniers jours. Ce sont des visages décomposés, des corps gonflés d’eau jonchant sur une plage, qui sont présentés dans une vidéo à déconseiller à toute âme sensible. Des jeunes qui, par désespoir, tentent l’aventure périlleuse du grand large et finissent par voir leur rêve brisé au prix de leur vie ; chacun de nous a une idée de ce sombre tableau. Et cette fuite en avant ne s’arrête pas ! La Marine nationale informait hier que son patrouilleur de haute mer «Niani» a arraisonné, ce 26 juillet au large de Saint-Louis, une pirogue transportant 209 migrants partis de Barra en Gambie, dont quinze de nos compatriotes à bord, avant de les remettre aux services compétents.

Une recrudescence est notée dans ce phénomène avec des embarcations qui quittent nos côtes à chaque occasion qui se présente, alors que rien de conséquent n’est fait pour dissuader de façon efficace et proposer des alternatives sérieuses à notre jeunesse. Les jeunes qui s’attaquent à l’aventure du grand large sont toutes ces petites gens qui vivent au jour le jour et à la sueur de leur front, tentant vaille que vaille de se créer des opportunités. Ce sont ces jeunes dans une précarité ambiante dont on détruit les étals, empêche leurs motos de livrer et qu’on chasse des marchés. Ce sont eux également qu’on dépouille en mettant à genoux toutes les entreprises plus ou moins viables de notre tissu économique. J’avais toujours pensé que les larmes du petit Peuple sont la graisse dont s’enduisent les meilleurs des populistes, pour leur cracher dessus une fois leur objectif d’accession au trône atteint. Les derniers développements dans notre pays n’infirment pas un tel raisonnement.

Lire la chronique – Ode au dernier de nos Titans, Abdoulaye Baba Diao

C’est cynique de le dire, mais l’élite politico-sociale ne s’émeut des morts que lorsqu’ils peuvent servir de gain politique sinistre en tirant toutes les cordes du populisme et en activant toute la force ravageuse de la larme en politique. Les cadavres sont bons quand on peut les empiler et leur faire parler à sa guise, quand on est aux affaires on s’en détourne sûrement. On se rappelle tragiquement que les réseaux sociaux, le gotha politique dakarois, les cliques d’influenceurs, les célébrités à la sauvette et tout ce qu’on compte comme prédicateurs illuminés s’indignaient, en novembre 2020, sur les drames que faisait l’émigration clandestine en postant à tout-va «480», tout en réclamant un deuil national. Toute personne qui était pour le peu suspicieuse de cet élan spontané de petits et grands bourgeois voulant déverser des larmes nourries pour le petit Peuple était mal vue, voire diabolisée, car l’énergie contestataire était là. Pour rappel, le chiffre «480» correspondait au nombre de migrants décédés en mer en une semaine du mois d’octobre 2020, selon l’Ong Alarm Phone. Aujourd’hui, face aux nouvelles vagues de décès, les prêcheurs de la conscience et défenseurs des causes justes sont bien aphones. Leur verbe et leur verve, de la Société civile à la classe politique, en passant par les médias, auront été troqués contre une discipline sournoise plaidant un silence pour ne pas gêner le nouveau pouvoir. Quête de strapontins, couardise légendaire, déni de la réalité, je vous laisse trouver l’alibi pour eux. Mais, il semblerait que nos maîtres de la bonne conscience ne veulent guère qu’une quelconque dissension fausse le temps de nos noces avec les nouveaux dieux de la cité. Leur silence peut se comprendre, mais celui des plus hautes autorités ne peut se pardonner.

Saint-Louis – Lutte contre l’émigration irrégulière : Plus de 200 candidats interceptés par le Niani

Ces autorités, à commencer par le président de la République Bassirou Diomaye Faye, doivent faire de la question de l’émigration clandestine le challenge majeur de leur mandat. Ils ont été élus par des jeunes qui ont cru en leur promesse d’un avenir meilleur et d’une réussite sous leurs cieux. Il ne peut pas opter pour le silence quand sa jeunesse se meurt dans la traversée de l’Atlantique ou dans la longue marche du Sahara. Des mots de compassion, une forme d’empathie ne seraient pas trop demander au premier des Sénégalais qui, dans sa vie d’opposant, aura eu les mots les plus forts sur le drame de l’émigration clandestine. Pour l’heure, des jeunes sénégalais continuent à mourir en mer et voir leur rêve de l’eldorado se heurter au violent mur de la réalité de l’émigration clandestine. Devant ses compatriotes, Bassirou Diomaye Faye a la responsabilité historique de tendre une main à toute une jeunesse que le ventre de l’Atlantique ne se lassera d’engloutir.
Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn