Le Premier ministre Ousmane Sonko s’est offert l’esplanade du Grand théâtre pour se donner en spectacle, tirer sur tout ce qui bouge et balancer son lot de menaces plates pour mettre au pas les impertinents que nous sommes. Il aura cherché à mettre les petits plats dans les grands à renfort de ses réseaux sociaux et une mobilisation des sections de son parti. Il a mobilisé des militants, financé le convoyage et offert des collations. Une nouvelle donne pour l’homme qui voyait des militants se cotiser pour lui verser de fortes sommes et endosser toutes ses initiatives. Qui disait que l’impopularité commence le jour où on prend le pouvoir ? Toute une tribune sera donc érigée pour balancer son lot d’invectives, bander des muscles, jouer à faire régner un ordre pour quelqu’un dont toute l’ascension n’est que la rente du chaos et du désordre qu’il a pu semer en chemin, depuis son entrée dans notre scène politique.

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Sur les sorties du désormais tout-puissant Pm, je me suis longtemps fait une religion, à chaque fois qu’il se permettait d’amuser la galerie par des pensées au rabais, des discours rigoristes et foncièrement creux, ou de mirages nationalistes ayant peu d’opérabilité avec les enjeux réels de notre pays. Pour son spectacle de dimanche dernier au Grand Théâtre, les comptes rendus des médias et quelques publications de personnalités en réponse à sa sortie auront suffi pour me dire qu’il y a des hommes dont l’importance et la rigueur d’une station ne pourront changer d’un iota. Il faut savoir incarner certaines positions et avoir une certaine capacité de dépassement, ce qui fait terriblement défaut pour l’heure.

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La presse, des «fraudeurs fiscaux» à ses yeux, en aura eu pour son grade. Elle est une cible idéale, après avoir été son marche-pied et le relais de ses idées loufoques et théories saugrenues. Il tancera notre rédaction à demi-mot sur l’affaire du Général Kandé pour se faire un gendarme de l’édition, prêt à taper, en cas de récidive. Qui s’imaginerait que cet homme postait, quelques mois de cela, d’énormes pavés pour venir à la rescousse de journalistes qui avaient maille à partir avec la Justice. L’extraction du premier baril des eaux sénégalaises sur le champ de Sangomar rappelle tragiquement qu’en 2016, notre tout-puissant Pm nous apprenait qu’un réseau de pipelines en haute mer aidait à pomper des hydrocarbures du Sénégal pour les envoyer loin de nos contrées. Son premier opposant pour l’heure, la Var, lui rappellera qu’il aura eu de ces déclarations qu’aucun lavage à grande eau ne pourra effacer des mémoires. L’embarras que crée leur remise au goût du jour reste pesant, pour autant qu’on veuille détourner le regard ou mettre cela sur le compte de déclarations d’opposants pour amuser la galerie ou irriter le pouvoir d’alors.

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Aux menaces du tout-puissant Pm contre la presse en activant tous les leviers pour la paralyser ou mettre à genoux le plus de médias possible, il faudrait sans doute lui rappeler qu’il est dans un pays libre. C’est parce que des voix se sont déliées depuis toujours qu’il aura pu avoir une quelconque ascension dans notre vie publique. Il faudra qu’il puisse se mettre à l’esprit que les paroles contraires s’élèveront contre son récit et sa façon de voir des choses. Il verra toujours des contre-arguments à tout ce qu’il pourra élaborer. Le Sénégal est ce pays à l’heure actuelle où beaucoup accepteraient volontiers des condamnations pénales plutôt qu’une réduction de vocabulaire, pour paraphraser l’écrivain italien Erri de Luca.

Le manque de révérence à l’égard de la figure du président de la République aura également été une incongruité de la sortie du Pm Sonko. Le fait de tourner en dérision la première autorité du pays en la caricaturant de Serigne Ngoudou et vouloir appeler au respect des institutions passe mal.

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De la sortie du Premier ministre au Grand Théâtre, le mépris dont il aura fait montre à tous ceux qu’ils considèrent comme adversaires ou acteurs ayant des intérêts contraires au sien, est sidérant et révélateur d’une dynamique fractionniste. Le manuel de procédés est un classique chez tous les populistes : créer une logique d’altérité et d’antagonisme avec des ennemis domestiques, ceux-ci seront forcément à la solde «d’intérêts cachés» avec des maîtres tout-puissants qui tirent les cordes depuis les coulisses. Les sympathisants et militants sont appelés à la rescousse pour faire bloc autour de l’œuvre suprême que des esprits tordus tenteront de chahuter. Le «Nous» fait constamment face à un «Eux». Tout se lit dans une grille manichéenne, avec des gens biens qui sont avec nous et ceux portant toutes les tares à combattre en face. N’est-ce pas toute la dynamique qui aura motivé le Sonko-show de dimanche dernier au Grand Théâtre ? Le sérieux de l’Etat et la réalité des enjeux ne peuvent malheureusement se compenser par du bruit bruyant. A l’avenir, le Premier ministre nous évitera très certainement une sortie de ce type, qui l’aura plus desservi qu’autre chose. J’aurais compris une telle sortie devant la jeunesse s’il venait avec la bonne nouvelle d’un avenir pétro-gazier du pays qui serait une occasion pour ceux-ci de toucher à la matérialisation d’un rêve sénégalais, plutôt d’un Projet (le mot est important !).

«Le fascisme, c’est le mépris. Inversement, toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme», disait Albert Camus. Je n’aurais pas souhaité me souvenir de ces mots la semaine où ce pays, qui nous est tant cher, produit son premier baril de pétrole d’un gisement offshore.
Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn