Une conversation qu’il m’est arrivé d’entendre m’avait particulièrement choqué mardi dernier, lors de la première présentation devant les juges des Chambres criminelles des différents protagonistes de l’affaire Sweet Beauté. La scène se passe dans l’espace commercial de la station Total de l’autoroute à péage, sise au niveau de Dalifort. Un vigile, plus scotché sur son téléphone qu’à son travail de surveillance des lieux, est plongé dans les directs diffusés pour couvrir le procès. Il s’exclame auprès de deux agents, préposés aux rayons : «Les jeunes ne cassent pas assez aujourd’hui et laissent les Forces de l’ordre prendre la main.» Son interlocuteur, ravitaillant les étagères en produits, lui répond que c’est la maison de Mame Mbaye Niang que les jeunes devaient brûler dans la nuit, cela ferait plus d’effets que la maison de Serigne Mbaye Thiam. La joie maligne qui nourrit leur échange fait voir le mal qui peut ronger des âmes, lorsqu’elles sont plongées dans une nuit obscure à force d’être biberonnées d’un discours fallacieux, dégagiste et faussement guerrier.

J’écoute choqué, cette conversation, mais j’évite d’y glisser un mot pour éviter toute prise de sang avec des agents qui fantasment de casse alors que leur gagne-pain avait été mis à sac en mars 2021, entraînant la mise au chômage d’une vingtaine de personnes. Ce bref échange entre des gens qui, pour on ne sait quelle frustration, voudraient voir des biens publics saccagés et des propriétés privées détruites afin d’éviter la tenue d’un procès ou de mettre le pays dans une instabilité parce que leur champion aurait des démêlés judiciaires, en dit beaucoup sur le trou infernal dans lequel tout ce pays est tombé. Par la force des réseaux sociaux, du jeu des rentiers de la tension, d’une certaine presse irresponsable, le Sénégal, dans son intégralité, s’est plongé dans une spirale de surenchère de la violence, un déversement aveugle de haine, une inculture barbare avec l’insulte à la bouche et un règne absolu de l’outrage. Tout ce qui est civilité, courtoisie, ordre et discipline dérange au plus haut point.
Un nivellement sur un lit de bouse, fait de défiance, de glorification d’actes anti-républicains, de promotion de la haine, donne un climat mettant la boule au ventre à bien de gens qui n’ont jamais vu le Sénégal autant désorganisé. Je circule avec beaucoup de regrets dans les rues semi-désertes de Dakar à chaque fois qu’un procès supposé «compliqué» s’annonce.

Pensez-vous humain que le corps d’un jeune à Keur Mbaye Fall, gisant dans son propre sang et lâchant son dernier souffle, soit exposé à tous sur les réseaux sociaux, sans aucune forme de compassion, avec le seul objectif d’en faire une pièce à charge contre des Forces de l’ordre ? Est-il normal qu’une mort par accident d’un agent de police à Ziguinchor soit célébrée par des commentaires des plus abjects pour voir dans la chute de ce noble serviteur de la République, une forme de revanche du sort contre les Forces de défense et de sécurité ? Que peut-on penser de tous les appels au meurtre et au saccage lancés par de sombres enflures à des milliers de kilomètres, qui se voient plus patriotes que tous ou plus soucieux de l’avenir du Sénégal ? Est-il logique qu’avec tout ce que le Barreau du Sénégal a produit comme ténors qu’on s’excite sur les diatribes d’un pauvre avocat étranger, à la quête de sensations et cherchant à exister par l’exposition que lui donne en Afrique auprès d’opinions dissidentes, le fait de vouloir se faire la peau de l’Etat sénégalais ?

La séquence folle que traverse le Sénégal depuis que des entrepreneurs politiques d’un piètre niveau et aux méthodes violentes, défiant toute orthodoxie et logique, ont fait leur irruption dans la vie publique aura accouché d’une violence viscérale. Les œillères de la haine et l’irrévérence sont le bien qui se partagent le plus avec des gens prêts à brûler tout ce qui les entoure, même si c’est pour finir par régner sur des ruines et cendres. L’humanité, qui a toujours caractérisé le Sénégal et ses enfants, s’est perdue, laissant la place à la bestialité d’hyènes, prêtes à s’attaquer en meutes à tout, prêtes à tourner en dérision tout ce qui ne coopère pas à leur logique.

Tout est vil dans les agissements, tout est lâche dans les postures. La mauvaise foi triomphe, l’indignité n’atteindra plus jamais de tels sommets. Il est aisé de se dire briseurs de roue ou combattants d’une quelconque cause en se joignant au ballet des hyènes et vautours. Dans leur haine aveugle, toute la charogne de ce pays aura tué les derniers retranchements d’humanité qui nous restaient. On ne s’étonnera donc pas de voir des gens fièrement scier la branche d’unité sur laquelle nous sommes assis, au risque de mener le pays vers le chaos tout en détruisant leur lieu de travail.

Un des auteurs de l’incendie du dépôt de bus Dakar Dem Dikk de Keur Massar, le sieur Faly Sané, aura été appréhendé hier alors qu’il célébrait le baptême de son nouveau-né. Baptiser sans sourciller un enfant, lui promettant le meilleur des avenirs après avoir brûlé une flotte de véhicules de transport en commun, ce pays marche vraiment sur la tête.
Par Serigne Saliou DIAGNE / saliou.diagne@lequotidien.sn