Le ministre du Tourisme, Mame Mbaye Niang, a tenu avant-hier une conférence de presse pour se prononcer sur des accusations que le chef du parti Pastef, Ousmane Sonko, a porté sur sa personne quant à des détournements de l’ordre de 29 milliards à l’époque où il avait la tutelle du Prodac (Programme des Domaines agricoles communautaires), en tant que ministre de la Jeunesse. Le maire de Ziguinchor clame détenir un rapport de l’Inspection générale d’Etat (Ige) qui incrimine Mame Mbaye Niang de malversations. Ce dernier l’invite par une plainte à présenter un tel rapport et met sa démission du gouvernement sur la table et sa mise à disposition de la justice sénégalaise, si les allégations du chef du Pastef sont avérées. Cette sortie de Mame Mbaye Niang est un moment rafraîchissant dans notre vie publique et politique, car elle met un terme à une logique dans notre jeu politique faite d’accusations infondées ou sans soubassement réel qu’une certaine lâcheté bien sénégalaise à adresser nos maux empêchait de mettre à plat.

On a laissé une tyrannie des accusations fallacieuses et un terrorisme intellectuel doublé d’une mauvaise foi, portés par des grandes gueules arrivées en politique par accident, prospérer au point que tout acteur public peut du jour au lendemain se voir attaquer par une meute aveugle. Si tous les responsables et personnalités politiques, injustement attaqués, décidaient de croiser le fer avec leurs accusateurs, on n’en serait pas à une situation où des gens certains de leurs mensonges n’auraient pas le haut du pavé et l’oreille de masses. L’exemple de Mame Mbaye Niang doit faire tache d’huile pour que dans notre sphère politique devenue une arène de gladiateurs, les fous et bêtes brutes soient contenus à défaut d’être domptés. Porter des accusations d’actes répréhensibles dans la gestion publique est une bonne chose pour des chantres de la probité, mais encore faudrait-il pouvoir apporter les preuves de ce qui est dit. Tout le monde peut se mettre à accuser à tort et à travers des cibles bien définies, tout le monde peut aussi déverser son seau de boue et d’insanités sur des adversaires dont l’inimitié pourrait conduire au pire.

Un aîné à l’habitude de me dire qu’il y a une confrontation dans ce pays qu’on ne cesse de reporter, surtout pour toute cette génération fraîchement arrivée en politique et se croyant comme un cadeau de Dieu au pays de Senghor et Dia. Cette génération bourrée de certitudes, avec une profondeur superficielle et un discours creux que trahit sa nature enjouée, devra un jour voir ses colonnes s’affronter et l’acte de Mame Mbaye Niang est un bon début pour une telle confrontation. J’oubliais même que ce sont des nationalistes «convaincus» et de «fiers» Africains qui reprochaient à Mame Mbaye Niang au Parlement de ne pas parler un français léché, après s’être indignés des propos du Président Macron au sommet de la Francophonie. Quelle est risible, l’incohérence dans la couardise !

On est dans un pays où les gens pondent des rapports incriminants par la fertilité de leurs esprits, clament lire des notes blanches dont même les services habilités sont étonnés de leur existence. Ils sont dans le secret des dieux pour toutes les missions d’audit, sont plus qu’à l’affût pour toutes les publications du Journal officiel et ont même tous les renseignements qu’ils veulent sur la plus haute autorité du pays. Ce cirque doit arrêter et il appartient à chacun d’y faire sa part.

On ne peut continuer d’être pris en otage par des tonneaux vides qui ont l’insulte en bandoulière, et sont dépourvus de tout courage avec leur lot de menaces plates. Ils sont tellement loquaces, bons qu’à ne comploter et commérer, qu’on se penserait dans une cour médiévale d’Orient avec son lot d’eunuques. Simone de Beauvoir devait sûrement voir en songe les entrepreneurs politiques de notre génération de Sénégalais, quand elle suggère que certains pensent dur «que le vide de leur cerveau leur meuble les couilles». Des prédateurs en puissance qui décident de se vêtir en guerriers de la justice sociale, le Peuple au nom duquel ce triste spectacle est servi saura apprécier.
Dakar est une petite ville. A deux ou trois personnes près, tout le monde se connaît et tous les cercles se recoupent. Le charme de la «consanguinité» et de l’entre-soi de l’élite politico-économique de ce pays, c’est qu’à gratter de près et en reliant les points, on voit clair sur toutes les postures et accusations, les plaidoyers et les indignations… Nul dans cette ville n’a le monopole de l’insolence, de l’incorrection, de l’invective et de la terreur. Il n’y a rien de plus gratuit qu’une accusation sans preuve. Si c’est à ce jeu qu’on veut jouer, tout le monde s’y prêtera volontiers et on verra d’où les larmes viendront.