Les pays de la Cedeao n’ont toujours pas ratifié en interne, au niveau de leurs parlements respectifs, la convention signée en 2018 entre des pays africains, européens et latino-américains, dans le but commun d’échanger des informations pour lutter contre la fuite des capitaux et visant à éliminer la double imposition sur les revenus. La révélation a été faite hier par Amadou Badiane, Inspecteur principal des Impôts et domaines, l’un des quatre représentants du Sénégal au 5e Forum de dialogue politique de haut niveau du Wataf (West african tax administrations) à Praia. Il a plaidé en faveur d’un engagement politique sur cette question afin d’éliminer les barrières administratives, de promouvoir la transparence fiscale pour permettre une plus grande collecte d’impôts, des investissements et des moyens de financer des programmes de développement dans la région.

Signée en 2018, la convention sur la non-double imposition et l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu entre le Sénégal et le Cap-Vert n’est pas encore en vigueur. Hier, lors du forum du West african tax administrations (Wataf) ouvert à Praia, Amadou Badiane, inspecteur des Impôts, a soutenu qu’en 2016, c’est lui qui a participé et aidé à négocier la convention bilatérale entre le Sénégal et le Cap-Vert. La question, à l’en croire, n’est pas encore totalement réglée, puisque la ratification au niveau national se fait toujours attendre. «Quand la même personne a des revenus au Cap-Vert et au Sénégal, elle va être taxée doublement. L’idée de cette convention, c’est d’éliminer la double imposition pour permettre des échanges et le développement économique des Etats-frères et qui sont dans la même zone économique. Je donne toujours cet exemple : le seul voisin du Cap-Vert, c’est le Sénégal, donc c’est important que, étant pays voisins, on puisse vraiment éliminer les barrières qui empêchent les investissements, les échanges, la circulation des biens, des personnes et des capitaux», a-t-il déclaré au Quotidien lorsqu’il a été interrogé sur le sujet.

Amadou Badiane rappelle qu’à l’époque, la convention a été signée notamment par le Sénégal et le Cap-Vert, et qu’il ne restait plus qu’à la faire ratifier par leurs parlements respectifs. «Il reste maintenant, au niveau de chaque Etat, à l’interne, de ratifier pour que la convention fiscale de non-double imposition puisse être mise en œuvre. Une convention, pour qu’elle puisse avoir valeur de loi interne, il faut qu’elle soit ratifiée par les parlements. Pour le moment, à ma connaissance, ce n’est pas encore ratifié au Sénégal, et par rapport au Cap-Vert, je n’ai pas de renseignements. Mais les deux pays ont déjà signé», a-t-il dit.
Pour sa part, la Directrice nationale des recettes du Cap-Vert, Liza Vaz, confirme : «Dans le cadre de la Cedeao, il n’y a pas d’accord commun uniquement pour cette question de la double imposition des revenus.» Selon elle, la coopération entre les administrations fiscales des pays travaille sur cette question. «Ce qui existe, c’est une convention multilatérale signée entre les pays d’Afrique, d’Europe et d’Amérique latine, qui a pour objectif d’échanger des informations pour lutter contre la fuite des capitaux. Ce que l’on peut dire, c’est qu’en ce qui concerne les personnes physiques, et conformément aux règles générales, elles doivent déclarer et payer l’impôt dans les pays où elles résident», a-t-elle déclaré, se référant aux traités internationaux généraux en la matière.

Dans le cas du Sénégal et du Cap-Vert, qui ont une excellente coopération bilatérale dans ce domaine fiscal, Liza Vaz estime que les règles nationales pour éviter la double imposition sont «claires», tout en reconnaissant l’existence de traités qui, dit-elle, «sont au-dessus des lois nationales et doivent être appliqués». «Les traités sont toujours les bienvenus. Les pays, comme nos deux pays, qui disposent d’un large réseau de traités, peuvent mieux gérer leurs relations avec les investisseurs», a-t-elle soutenu. Elle souligne que la collecte des impôts dans le secteur informel était l’un des défis à relever entre les deux pays.

Le défi de la taxation du secteur informel
La collecte des taxes sur les activités commerciales du secteur informel reste un défi pour de nombreux pays, et pour la Cedeao en particulier, et a été évoquée lors du Forum Wataf de Praia. Selon Liza Vaz, le Cap-Vert et le Sénégal en sont des exemples, et c’est pourquoi l’échange d’expériences entre les partenaires a été important pour trouver des solutions dans ce domaine. «Dans le cas du Cap-Vert, l’une des spécificités est l’informalité (collecte de revenus par le biais d’activités commerciales informelles), ce qui n’est peut-être pas le cas dans d’autres pays à l’économie plus robuste. Comme vous pouvez le constater, la capacité à collecter des revenus est différente dans notre sous-région et dans d’autres pays. Ce sont ces différences qui nous permettent, à nous pays de la Cedeao, de défendre les mêmes positions et nos faiblesses sur les grandes scènes où l’on discute de ces questions», a assuré Liza Vaz au cours de la réunion, qui a également été marquée par la présence de représentants d’autres pays.

Pour sa part, Amadou Badiane a expliqué que le secteur informel n’est pas un problème en soi, dans des pays comme le Sénégal et le Cap-Vert. Par contre, il estime que «la solution réside peut-être dans le partage d’expériences». «On a le même problème chez nous. Personne n’a une solution aujourd’hui pour ce phénomène. Je trouve que la solution est dans le partage d’expériences, voir comment avoir des stratégies communes pour lutter contre l’informalité. Mais, je crois que l’informalité en tant que telle, ce n’est pas un problème», dit-il. Il ajoute : «Le problème, ce sont souvent nos procédures qui sont complexes et ne sont pas adaptées à l’informel. L’informel va être là, on ne peut pas changer les structures économiques des pays du jour au lendemain. Il faut que nous, les décideurs fiscaux, essayions de trouver des stratégies qui peuvent amener les citoyens du secteur informel à venir adhérer au système.»

A cette fin, Amadou Badiane a partagé l’une des mesures prises par l’administration fiscale sénégalaise. «On a un outil qu’on a mis récemment, qu’on appelle branlement de conformité fiscale. Le Cap-Vert a la chance d’avoir une même administration fiscale et douanière. Ce qui n’est pas le cas chez nous où nos administrations fiscale et douanière ne sont pas les mêmes. Si vous importez au Sénégal par exemple, vous ne pouvez pas dédouaner la marchandise sans que vous n’ayez pas échoué fiscalement, sinon vous payez une taxe de 12% qui va s’ajouter aux autres. Comme vous voyez, ça va permettre de lutter contre l’informel. Ça, peut-être, n’existe pas au Cap-Vert et voilà un exemple d’expérience qu’on peut échanger. Mais, peut-être, le Cap-Vert a d’autres solutions qui peuvent intéresser le Sénégal», explique M. Badiane.
C’est pourquoi, selon Amadou Badiane, la coopération prônée par le Wataf est nécessaire entre les deux pays en particulier, ceux de la Cedeao en général. «Le rôle de Wataf, c’est un peu d’améliorer l’efficacité de l’Administration. Quand il y a des sujets pertinents comme celui de la transparence fiscale, notamment des échanges de renseignements en matière d’assistance internationale pour le recouvrement des créances fiscales, Wataf a une occasion de venir partager avec les membres, les opportunités qui s’offrent à ces outils qui sont importants aujourd’hui pour nos Etats», a-t-il conclu.
Par Arlinda NEVES (correspondante particulière à Praia)