Le film «Touki Bouki» de Djibril Diop Mambéty fête son cinquantenaire cette année. Sortie en 1973, l’œuvre de Mambéty reste d’une actualité déconcertante. Dans le sillage de lui rendre hommage, l’Institut culturel italien de Dakar a organisé la semaine dernière, des évènements autour de la présentation du livre «Djibril Diop Mambéty ou le voyage de l’hyène» de l’Italienne Simona Cella suivis de la projection du film «Touki Bouki».Par Ousmane SOW –

Il y a 25 ans disparaissait l’un des plus brillants poètes du cinéma africain contemporain, l’éclectique Djibril Diop Mambéty. Sa lumière, toujours écarlate, son œuvre reste entière, intacte et d’une actualité déconcertante. La semaine dernière, à Dakar, l’Institut culturel italien lui a rendu un vibrant hommage dans le sillage de célébrer les 50 ans de la sortie du film Touki Bouki. Simona Cella, l’auteure du livre Djibril Diop Mambéty ou le voyage de l’hyène, sorti à l’édition L’harmattan Sénégal, en versions italienne et française, est revenu un peu sur l’héritage de Mambéty, après 50 ans de Touki Bouki. «J’ai fait mon mémoire sur Djibril Diop Mambéty et ma thèse sur son œuvre. Et on a compris, qu’en Italie, il n’y avait pas encore ce qui pouvait raconter la richesse de son œuvre à travers plusieurs voix. Alors, j’ai pensé que c’était important d’essayer de rendre un portait complet de ce réalisateur sénégalais qui a fait peu de films, mais qui a révolutionné le cinéma mondial», a expliqué Simona Cella. Elle dit avoir connu Mambéty à Milan dans le cadre d’un Festival de cinéma africain. Pour l’auteure italienne, Touki Bouki est un film qui prend de la réalité. Elle explique : «C’est l’histoire de deux jeunes qui cherchent à se procurer, par tous les moyens, de l’argent pour partir à Paris. Après de nombreuses péripéties, ils se retrouvent sur le pont d’un bateau en partance pour la France. Mais au dernier moment, Mory se refuse à s’enfuir vers un nouveau mirage.» A en croire Simona Cella, Mambéty revendiquait le langage cinématographique libre et il essayait de cacher la façon de faire du cinéma très classique et simple. «Mambéty disait toujours que le cinéma, c’est quelque chose qui doit faire ouvrir la tête et les yeux», se souvient-elle. Parlant du film Touki Bouki, elle indique que c’est un film prophétique, très courageux et très actuel. Un film expérimental. «Touki Bouki est un film prophétique. Le portrait qu’il dresse de la société sénégalaise de 1973 n’est pas très éloigné de la réalité d’aujourd’hui : l’immigration. A chaque fois que je vois Touki Bouki, je me dis que c’est un film particulier, l’avant-garde», précise Simona Cella, rappelant aussi que Djibril Diop Mambéty avait une grande liberté de faire du cinéma, un cinéma qui est politique, ancré dans la réalité. De son avis, il y a Sembène Ousmane qui est le grand réalisateur sénégalais mais Mambéty, dit-elle, «a laissé quelque chose de très spécial».

Des thèmes essentiels
Dans Djibril Diop Mambéty ou le voyage de la hyène, les textes recueillis mettent en évidence les thèmes essentiels de l’œuvre du metteur en scène, à savoir, l’expérimentation stylistique, le thème de l’exil et du retour, le récit de Dakar, la dialectique tradition-modernité et Afrique-Occident, la dénonciation du pouvoir corrupteur de l’argent, en relevant également des parallélismes et des références à Godard, le Troisième Cinéma, Fanon, le western, la théorie du panoptique de Foucault, a écrit Martin Scorsese, le préfacier du livre.

Que reste-t-il de l’héritage de l’œuvre de Mambéty ?
Aboubacar Demba Cissokho, critique de cinéma et journaliste à l’Agence de presse sénégalaise (Aps), revenant un peu sur la vie et l’œuvre de Djibril Diop Mambéty, de son langage cinématographique, a estimé qu’il est difficile de surestimer l’importance du Touki bouki ou le voyage de l’hyène, de Djibril Diop Mambéty et sa place séminale dans le cinéma africain. «Ça fait 25 ans qu’il est parti, mais on a l’impression que c’est quelqu’un qui a vécu 90 ans et fait 50 films vu la force que dégagent ses films», a réagi le journaliste et critique de cinéma. Il révèle que Touki bouki, vu pour la première fois à Cannes en mai 1973, a été réalisé pour trente mille dollars. Djibril Diop Mambéty mourut à l’âge de 53 ans, M. Cissokho indique qu’en Afrique, on connaît Sembène, mais il faut aussi parler de Djibril Diop Mambéty. «Au Sénégal, communément on a deux écoles : l’école de Sem­bène et celle de Djibril Diop Mambéty. Et il y a un changement de perspective dans la façon de faire du cinéma à partir de Touki Bouki. Et ce qui est intéressant dans ce livre, c’est la présence de plusieurs regards sur une œuvre artistique», appuie-t-il. Abdou­laye Diallo, directeur de L’Har­mattan Sénégal, quant à lui, garde de Mambéty l’image de cet homme qui avait la capacité de capter les détails dans la ville de Dakar. «Quand on voit dans la cinématographie de Djibril Diop Mambéty, c’est la capacité à rendre visibles les petites gens. Djibril Diop, c’est cet homme de grande simplicité qui s’intéresse aux choses et personnes simples, mais qui donne sens à la vie. C’est un homme qui a su promener sa caméra dans les choses qui pouvaient prédire l’avenir. Et la thématique de l’immigration qu’il a abordée, il y a de cela plusieurs années, est cette chose que nous sommes en train de vivre pleinement», a témoigné Abdoulaye Diallo.