«Le théâtre n’a pas à aller bien. Il doit vivre avec la société, avec ses soubresauts.» Ces mots de Mamadou Seyba Traoré, metteur en scène du Théâtre national Daniel Sorano, résument toute la philosophie de cette institution culturelle emblématique qui a fêté hier ses 60 ans d’existence. Un anniversaire marqué par un grand spectacle intitulé «Epopée, si Sorano m’était conté», conçu comme une fresque vivante retraçant les grandes heures de l’institution.Par Ousmane SOW – 

Le Théâtre national Daniel Sorano a célébré, ce 17 juillet, ses soixante années d’existence. Une traversée artistique, politique, humaine et nationale, qui a été célébrée par une fresque théâtrale intitulée : Epopée, si Sorano m’était conté. Deux jours auparavant, le Théâtre Sorano a dévoilé l’œuvre à un parterre de journalistes. Un spectacle total en trois mouvements, prêt à embarquer le public dans une odyssée théâtrale. Mamadou Seyba Traoré, metteur en scène, plante le décor. «Ce spectacle, c’est effectivement l’épopée de Sorano. C’est l’histoire de la compagnie», déclare-t-il face à la presse hier, après la présentation du spectacle. Mamadou Seyba Traoré en rappelle la densité, les multiples visages, les mémoires superposées. «On ne peut pas raconter 60 ans d’histoire en deux heures, alors on a sélectionné quelques pièces emblématiques, des morceaux de musique, quelques pas de danse et des récitations du «khawaré», comme ça se faisait dans le temps», explique-t-il. Une manière de rendre hommage aux anciens dont Maurice Sonar Senghor, ancien directeur du Théâtre national Daniel Sorano. A l’en croire aussi, cette commémoration est une leçon de fidélité aux fondements idéologiques de Sorano. «Le père fondateur, Senghor, parlait d’enracinement et d’ouverture. C’est plus qu’un slogan. C’est une philosophie», précise Mamadou Seyba Traoré. Evidemment, une ligne que Sorano continue de suivre avec exigence. «Nous ne sommes pas dans le conservatisme. Sorano n’est pas un musée. Ou alors un musée dynamique, où les choses bougent, où on garde des choses pour les générations futures», insiste le metteur en scène.
Le premier mouvement du spectacle fait honneur aux grandes dramaturgies dont Chaka, dans ses multiples versions, Senghor, Soyinka, Abdou Anta Ka, Alboury, premier prix au Festival panafricain d’Alger, Aline Sitoé, L’os de Mor Lam de Serigne Ndiaye, ou encore Nder en flammes de Alioune Badara Bèye. «On ne pouvait pas fêter les 60 ans sans parler de Mor Lam. Elle est viscéralement liée à notre histoire. Serigne Ndiaye reprend le rôle qu’il a créé.» Un clin d’œil aussi à La Tragédie du roi Christophe, hommage à Douta Seck et Jacqueline Lemoine. Le deuxième temps est consacré au ballet et à l’Ensemble lyrique, gardiens des rythmes, des danses et des chants qui racontent, avec le corps et la voix, la profondeur de l’âme sénégalaise. «Chaque génération a son histoire personnelle, rappelle Traoré. Mais il faut faire vivre ces belles chansons, ne pas les laisser disparaître. Le patrimoine, on le fait vivre, on l’adapte, mais on le garde. Il faut qu’on soit jaloux de notre xalam, de notre kora, de notre balafon», a-t-il fait savoir.

Un appel aux jeunes générations
Face à une désaffection du public, l’institution se veut combative. «Le théâtre n’a pas à aller bien. Il doit vivre avec la société, avec ses soubresauts. Il renaît tout le temps», a estimé Mamadou Seyba Traoré. La solution ? L’édu­cation. «Le théâtre n’est pas la télévision, ni les séries. C’est un rapport direct, humain, sans micro, sans caméra. Il faut que Sorano se batte pour rétablir ce courant-là, rétablir ce rapport viscéral avec le public.» Un appel est lancé à toute la société, et d’abord à l’école. «Il faut réintroduire le théâtre à l’école primaire. C’est là que naît l’amour de la scène. Sorano ne peut pas le faire seul. Toute la société est concernée», a estimé Mama­dou Seyba Traoré, qui adresse aussi un appel symbolique au chef de l’Etat, pour marquer son attachement aux arts. «Ce serait un honneur qu’il vienne nous voir», lance Seyba Traoré.
A ses côtés, Ndèye Fatou Cissé, directrice de la troupe dramatique de Sorano depuis deux décennies, partage ce même attachement viscéral à l’institution. Pour elle, cette célébration doit être un déclic pour les nouvelles générations, une invitation à renouer avec la scène, avec le travail rigoureux que porte Sorano depuis toujours. «L’objectif, c’est de rappeler aux jeunes ce que Sorano faisait. Moi, depuis 20 ans ici, j’ai eu la chance de jouer avec les anciens comme Ismaïla Cissé, Omar Seck ou Awa Sène Sarr», dit-elle, tout en estimant que le public doit revenir car le travail est bien fait. «Si vous voyez bien, c’est du théâtre professionnel. Ballet La Linguère, Ensemble lyrique, troupe dramatique… Tout se fait par audition. Ce n’est pas une mince affaire», a-t-elle laissé entendre.
ousmane.sow@lequotidien.sn