Le Pr Amadou Mahtar Mbow vient de nous quitter, plongeant le pays dans l’émoi et le chagrin. Il s’est reposé à Dakar, après avoir mené une vie riche d’expériences toutes consacrées à ce que l’Eglise catholique sénégalaise appelle la «quête de l’homme intégral». Cet homme intégral chez qui se rencontrent de manière fertile les valeurs de foi et les vertus propres à la civilité urbaine était une source d’inspiration pour toute l’Afrique.

La vie de Amadou Mahtar Mbow est un roman dont les feuilles s’égrènent en parallèle à l’histoire du Sénégal ; de la colonisation à l’accession à l’indépendance et à la consolidation de la démocratie et du pluralisme. Ce soldat mobilisé durant la Deuxième Guerre mondiale a été un artisan de la paix et du dialogue des cultures et des civilisations. L’horreur du conflit a marqué cet esprit juvénile, qui a fait de ce drame un limon fertiliseur de son action en faveur de la paix.

Etudiant, soldat, enseignant, Mbow a naturellement poursuivi son itinéraire en politique pour servir. Du Bds au Pra-Sénégal, aux côtés d’éminentes figures de l’histoire de notre pays comme Léopold Senghor, Abdoulaye Ly, Assane Seck, il a participé à la conduite de notre pays vers l’indépendance et à la mise sur pied d’un Etat qui, 64 ans plus tard, survit toujours à cette génération exceptionnelle.
Amadou Mahtar Mbow était un homme d’Etat engagé et dévoué. Il a consacré sa vie à l’édification d’une République démocratique et sociale dont le fondement est l’école. Cet enseignant de métier et de passion a forgé des esprits de générations de Sénégalais sur qui devait reposer le destin de toute une Nation. Etat nouvellement créé, fragile et en proie aux visées dominatrices de chaque bloc dans un contexte de Guerre froide, le Sénégal a eu la chance de compter sur des hommes d’Etat de la dimension de Mbow.

Message de Amadou Makhtar Mbow à l’occasion de son centenaire : «La jeunesse africaine ne doit pas désespérer»

Plusieurs fois ministre, Amadou Mahtar Mbow répondit aux sirènes de l’ailleurs et rejoignit l’Unesco. En 1974, il fut élu à l’unanimité Directeur général de l’agence onusienne et devint ainsi le premier Africain à diriger une organisation internationale. Le drapeau sénégalais flottait à Paris et partout où se décidait le destin du multilatéralisme, grâce à ce fils du Ndiambour. Notre pays offrait ainsi au monde en doute, avec l’affrontement Est-Ouest, le premier choc pétrolier, les revendications des tiers-mondistes, ce qu’il avait de plus précieux : le savoir fait homme. A l’Unesco, les défis furent immenses, de même que les polémiques nées des résistances des grandes puissances au sujet notamment du Rapport McBride et du Nouvel ordre mondial pour l’information et la communication promu par Mbow.

Traverses : Amadou Mahtar Mbow, profon­dément moderne

Les Américains se retirèrent, les attaques furent rudes et les accusations nombreuses et parfois grotesques. Il ne fallait pas pardonner à ce «nègre» son outrecuidance et son audace dans la volonté de rééquilibrer une situation asymétrique en matière d’accès à l’information. Il fut accusé de «politiser» l’Unesco, voire de vouloir «régenter» la presse, et lui imposer un «contrôle des Etats». Il tint bon. Ces rodomontades n’empêchèrent guère sa réélection et les félicitations de la Communauté internationale quand il a remis les clés de l’organisation en 1987.

Amadou Mahtar Mbow a ensuite exercé son droit au retrait, se consacrant à la lecture et à la vie familiale. Mais l’homme ne s’est jamais dérobé face à l’appel du devoir. En 2008, il dirigea les travaux des Assises nationales, moment important de réflexion sur le Sénégal, après le boycott des Législatives de 2007 et l’installation d’une Assemblée monocolore. La Charte de gouvernance démocratique est à ce jour l’une des réflexions les plus abouties sur l’état de notre pays et les transformations nécessaires dans tous les domaines de la vie nationale. Quinze années après, toute la classe politique invoque les conclusions de Assises ne serait-ce que pour s’en approprier l’approche et le contenu.

Amadou Makhtar Mbow et le Nomic : Un combat pour la démocratisation de l’information

Entre décembre 2012 et février 2014, Amadou Mahtar Mbow s’est vu confier par le Président Sall les travaux de la Cnri pour réfléchir à nouveau à la manière de donner à notre pays des institutions fortes, crédibles et qui durent dans le temps, en dépit des alternances et des changements de majorité.
Le décès de Amadou Mahtar Mbow est une perte immense pour l’Afrique, qui voit une partie de son histoire s’achever ; surtout dans une période d’outrances et de défis divers.

Mes pensées vont à Raymonde, sa partenaire de toujours, et à sa famille.
Puisse-t-il reposer en paix, après avoir écrit cent-trois lignes de sagesse comme viatique pour cette génération et celles à venir…
Par Hamidou ANNE – hamidou.anne@lequotidien.sn