Ces gens que la paix n’arrange pas
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Un ensemble d’acteurs de la Société civile a décidé de lancer une campagne contre un éventuel troisième mandat de l’actuel président de la République, Macky Sall. Puisque toutes les postures se valent en démocratie, nous voilà de nouveau embarqués dans une spirale folle au profit exclusif de nos héros de la vertu politique. Ce groupe autour du droit-de-l’hommiste, Alioune Tine, qui a fini de prendre tous les atours d’un «grand inquisiteur», dit user de sa posture de vigie de la démocratie pour alerter et mettre en garde face à un péril imminent. Le slogan trouvé cette fois-ci est «Jamm mo gën 3ème mandat», les officines de la bien-pensance dakaroise et de la citoyenneté «responsable» ne cesseront d’épater par leur prolixe inventivité ! On attend les marches et sit-in faits à dessein pour troubler l’ordre public et se donner une légitimité représentative auprès de l’opinion, on attend les concerts et compilations d’artistes, on attend la ronde tympanisante sur les plateaux des radios et télés, on attend la création des hashtags et le plaidoyer à l’international. Tout ça pour dire que la formule est connue, et que nos rentiers de la tension, se clamant acteurs citoyens, ont trouvé un nouvel os à ronger.
Ces entrepreneurs politiques encagoulés ont encore de quoi se clamer des «faiseurs de roi», à défaut d’avoir le courage de se plonger dans l’arène politique et de chercher à trôner. On ne peut être que renversé par cette capacité de faussement accaparer toute question commune et citoyenne pour affirmer combattre pour tous, tout en poursuivant un agenda purement personnel. Goetz disait bien dans «Le Diable et le bon Dieu» de Sartre, que Dieu (lui) avait permis d’être «hanté par la souffrance des autres sans la ressentir». Une société civile, hantée par nos maux, feignant de les ressentir, et en faisant le fagot de ses luttes d’intérêts : les cochons Napoléon et Boule de Neige d’Orwell ne feraient pas mieux.
Quel est l’esprit de penser qu’il y aura forcément des heurts ou des affrontements à l’annonce d’une troisième candidature de Macky Sall à la Présidentielle ? J’aurais dû dire «troisième mandat», parce que dans l’esprit de nos diseurs de fortune de la Société civile, Macky Sall est déjà sûr d’être réélu. Entre l’aveu de faiblesse ou la confession d’une réalité politique, on se perd ! Le choix des mots est si pertinent qu’on s’y attarde. La nouvelle campagne de nos acteurs de la Société civile se lit «Jamm mo gën 3ème mandat». Cocasse de mettre sur une même balance, la paix et la stabilité nationale face aux agissements d’un acteur politique, si tant est qu’il serait le premier des Sénégalais. Notre mécanique démocratique est assez huilée pour briser tout acteur qui lui vouerait du mal.
Quel est cet esprit de prier pour qu’il y ait des morts, de la casse et du dégât pour ensuite jouer aux bons offices ? Quel est cette logique de préparer l’opinion à un éventuel choc pré-électoral, tout en entretenant artificiellement une tension politique et un climat de campagne permanente ? Quand des gens se glorifient des morts dans les récents troubles au Tchad pour en faire des avertissements sur un malheur imminent chez nous, on voit plus clair sur le procédé. Les morts de mars 2021 et ceux de juin 2022 ont leur poussière déjà balayée sous le paillasson de nos gardiens des vertus politiques, il leur faut d’autres piles de cadavres. On ne peut pas oublier que ce sont des acteurs de la Société civile sénégalaise et nos politiques qui ont applaudi tout haut, quand des putschs se sont produits au Mali, au Burkina Faso ou en Guinée.
Ne serait-ce pas une belle victoire pour tous les adversaires déclarés de Macky Sall, de le battre sans conteste dans les urnes si les règles électorales l’empêchaient d’en faire partie et qu’il s’y invitait par effraction ? Le Président Wade n’a-t-il pas été emporté par une «brise» qu’il jugeait passagère ? Les Sénégalais ont été assez responsables lors des deux dernières élections connues par ce pays cette année, pour envoyer des messages clairs à toute la classe politique. Un lecteur de Harry Potter verra dans tous les faits et gestes de nos activistes de la Société civile, ceux de gens disposant d’une «carte du Maraudeur» pour deviner toutes les intentions et positions, même les plus cachées. C’est assez drôle qu’une telle carte s’active avec la formule suivante : «Je jure solennellement que mes intentions sont mauvaises !» On n’est guère loin d’un tel schéma quand on entend les déclarations de pyromanes de nos acteurs de la Société civile, pour offrir leurs seaux de larmes comme médiateurs pour éteindre des braises auxquelles ils auront donné tout leur souffle. La profession de foi des acteurs de «Jamm mo gën 3ème mandat» ne sort du spectre que la paix n’arrange pas tout le monde.
A force de tirer sur la corde d’une éventuelle tension, on ne serait pas surpris de voir un Alioune Tine célébrer ou clamer sa joie, tel un oiseau de mauvais augure, si dans le pire des cauchemars, un pouvoir sénégalais était renversé un jour par un coup d’Etat. Les fades monologues sur l’unité nationale et le respect de la démocratie qu’il sert sur les réseaux sociaux, au gré de la météo politique du pays et de la sous-région, en disent long sur le fantasme du désordre républicain et du chaos libérateur. C’est le meilleur des théâtres pour se mettre en scène. J’ai grandi en lisant dans les colonnes de ce journal, les meilleurs plaidoyers de la Société civile sénégalaise pour des causes humanistes, politiques et sociétales. Il est dommage de constater la perte de cet esprit de vigie de la démocratie et de la République, par des acteurs qui se sont faits chevaux de Troie d’entrepreneurs politiques. Les jours de fondateurs émérites de la Raddho comme Waly Coly Faye ou Dieudonné Pandaré sont bien loin. On ne pouvait imaginer un tel désastre…
Par Serigne Saliou DIAGNE / saliou.diagne@lequotidien.sn