Ces petits commissaires de l’énergie
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Le face-à-face entre consommateurs et la Senelec est le spectacle le plus ubuesque que notre pays ait jamais vécu depuis les émeutes de l’électricité de juin 2011, rançon du succès pour l’électricien public qui s’est restructuré et relevé avec une production de pointe qui approche 2 Gigawatts bientôt, performance que trop peu de monopoles publics en Afrique peuvent se prévaloir dans le domaine.
Les usagers et consommateurs, clients de la Senelec vivent l’embellie, nous vivons dans des bâtiments souvent non thermiques qui stockent trop de chaleur, nous accumulons trop d’appareils électroménagers dans nos appartements, surtout en milieu urbain -la machine à laver est partout-, nous collectionnons trop de gadgets électroniques et last but not least, nous faisons face à un pic de chaleur comme jamais le monde n’a connu. Ainsi, la climatisation s’est imposée chez beaucoup de nos compatriotes ; ceci dans une vie sédentarisée en milieu urbain où depuis le Covid-19, le travail à domicile a pris ses quartiers.
L’électricité a un coût, surtout pour nos pays sans ressources fossiles brutes : technologie, process et intrants doivent être importés à partir des marchés que nous ne maîtrisons pas. Malheureusement, dans le discours teinté de démagogie de nos politiciens, ils nous font souvent croire à une baisse de l’électricité alors que notre pays ne contrôle absolument rien dans la chaîne de valeur production, exceptés ses 30% de renouvelable dans le bouquet électrique, encore même que le prix au kw-crête reste élevé. La France, malgré ses 56 réacteurs, ses super éoliens géants, ses centrales biomasse et champs solaires, se dirige vers sa troisième augmentation du prix de l’électricité avec le bouclier tarifaire : les fameux Tarifs réglementés de vente (Trve) d’Edf ont dû être gelés pour éviter un dérapage de 74% en glissement annuel. Edf et Matignon sont à couteaux tirés, l’électricité est un secteur si imprévisible, surtout dans un monde de chocs, tumultes et risques qui se superposent. Déjà, comment va impacter la nouvelle crise israélo-palestinienne sur le marché des combustibles pétroliers avec l’Arabie Saoudite et les deux géants du Golfe persique, Iran et Irak, qui pèsent 25% du brut mondial. Doit-on d’ailleurs anticiper un nouveau choc pétrolier, heureusement non… les Usa sont devenus autosuffisants en pétrole et gaz, une situation qui amoindrit ce risque. La Senelec a l’obligation d’être extrêmement transparente dans la facturation de ses services et faire une communication cohérente sur la question des facteurs. Ce discours sur les tranches est trop alambiqué pour certains de nos compatriotes, surtout dans un contexte où les revenus sont trop faibles et le pouvoir d’achat subit les assauts inflationnistes au quotidien. On a l’impression que tout augmente au Sénégal.
A ce stade de son développement et de ses performances -une entreprise qui va vers 1000 milliards de F Cfa de Ca-, sa crédibilité est très importante, la Senelec doit, dans un futur proche, se déployer sur le continent, à la conquête de nouveaux marchés. Ainsi, sa crédibilité et l’honorabilité de ses dirigeants doivent être intactes, car aucun pays sur le continent n’accepterait dans un secteur aussi réglementé d’accueillir une entreprise qui abuse sa clientèle. Un seul contrat d’achat d’électricité permet à n’importe qui de lever des centaines de milliards pour l’investissement ; donc la signature est trop précieuse, surtout sa réputation. Au-delà du buzz, il faut savoir raison garder.
Simultanément, dans notre pays, nous devons mettre nos régulateurs devant la responsabilité de se saisir ou de s’autosaisir au besoin. Ceux qui dirigent l’Armp, l’Artp, Cnra, Crse, Cnc, etc., sont parmi les fonctionnaires les mieux payés, avec des mandats garantis, d’où leur devoir dans le cas des factures de la Senelec, pour la Crse, de prendre ses responsabilités pour faire les enquêtes et investigations nécessaires et adéquates sur les plaintes et griefs des usagers de la Senelec. Dans ce dossier, la Senelec ne peut être juge et partie, seuls les commissaires de la Crse peuvent rigoureusement dire si oui ou non il y a abus dans la facturation. D’ailleurs, c’est le Conseil de régulation du secteur de l’énergie qui est l’arbitre du secteur. Ainsi, les sept nouveaux commissaires doivent assumer ce rôle et nous édifier en sortant de leur silence. Leurs gros salaires et les privilèges viennent moralement avec des obligations qu’ils doivent assumer. C’est lâche de leur part, pendant que la Senelec est sous le feu de toutes les critiques et récriminations -même une augmentation du pain est imputée aux factures de la Senelec-, qu’ils soient muets comme des carpes. Et tous les nouveaux commissaires viennent du ministère du Pétrole et des énergies : un pantouflage indécent dont seuls nos hauts fonctionnaires ont le secret. Ils savent bien manœuvrer pour se faire coopter aux fonctions les plus juteuses en termes de gros salaires et émoluments, et malheureusement ils sont toujours dans l’esquive en période de braise. Ils sont loin d’être les meilleurs -je n’ai vu aucun appel à candidature-, au moins qu’ils travaillent pour les usagers, les consommateurs, et au moins le secteur de l’énergie. Il y a vraiment du souci à se faire au moment où la Crse a vu son périmètre d’intervention élargi au pétrole et gaz. Il est temps que la Crse siffle la fin de la récréation. Le problème, ce n’est pas la Senelec, c’est la régulation dans ce pays où des commissaires inamovibles dans une autorité administrative théoriquement indépendante ne font jamais leur travail et conçoivent leurs fonctions avec les émoluments comme du pain béni.
Moustapha DIAKHATE
Ex-Conseiller PM
Exp. Consultant Infra.