Le cinéma français crèvera-t-il l’abcès ? Les regards se tournent, vendredi 23 février, vers l’Olympia, à Paris, où se tient la 49e soirée des César, sur fond de libération de la parole autour des violences sexuelles dans le 7e art.

Quel film sortira grand gagnant des César ? Le phénoménal Anatomie d’une chute, nommé onze fois, et déjà auréolé de Golden globes et de nominations aux Oscars ? Ou Le règne animal, cité, lui, douze fois ? D’ordinaire, le petit jeu des pronostics tient en haleine le milieu du cinéma avant la cérémonie des récompenses. Mais cette année, ce sont d’autres enjeux qui attirent l’attention. La grande famille du cinéma français tournera-t-elle la page de décennies de silence sur les violences sexistes et sexuelles ? Sept ans après la vague américaine MeToo, le cinéma français va-t-il enfin faire sa révolution ?

Après des décennies de silence et d’impunité pour les prédateurs sexuels, les victimes dénoncent et, surtout, sont entendues. Il y a celles qui ont dénoncé les agressions de Gérard Depardieu. Et plus récemment, l’actrice Judith Godrèche, qui a également porté plainte pour viol contre les cinéastes Benoît Jacquot et Jacques Doillon. Beaucoup attendent des mots de l’actrice devenue figure de proue du MeToo français. «Que j’aille aux César ou pas, on s’en fiche bien», a coupé Judith Godrèche, à deux jours de la cérémonie, appelant plutôt à «entendre» les victimes. «Notre milieu souffre en silence. Nos jeunes filles souffrent en silence. Et une fois de plus, une fois encore, le gouvernement se tait, les politiques se taisent, et les acteurs, les réalisateurs se taisent», a ajouté l’actrice et scénariste.

Un rassemblement prévu avant la cérémonie 
Pour briser ce «silence», le syndicat Cgt Spectacle prendra la parole sur le tapis rouge avant la cérémonie, prévue à 20h 45 (19h 45 Tu). Rendez-vous est aussi donné à 19h 00 devant la salle de spectacle, pour un rassemblement auquel participera la Secrétaire générale de la Cgt, Sophie Binet. Le collectif 50/50, en pointe dans ces luttes, y sera également. De la mise en examen pour viols et agressions sexuelles de l’acteur Gérard Depardieu aux accusations portées par Judith Godrèche, suivie par d’autres comédiennes, les violences sexuelles hantent plus que jamais le cinéma français. Jeudi, l’actrice Isild Le Besco a, à son tour, annoncé qu’elle «envisage» de porter plainte contre Jacques Doillon et Benoît Jacquot, dénonçant une «emprise destructrice» et des «violences».
Et l’acteur Aurélien Wiik, lui, a lancé sur Instagram le hashtag #MeTooGarçons.

Les mots de la présidente seront scrutés
A priori, aucun nommé n’est concerné par des accusations. L’acteur Samuel Theis (Anatomie d’une chute) fait l’objet d’une enquête après la plainte pour viol portée par un technicien alors qu’il tournait un film l’été dernier, mais il n’en fait pas partie. Une règle de «non-mise en lumière» des mis en cause par la Justice «pour des faits de violence» a été instituée : pas d’invitation aux événements liés aux César, pas de remise de statuette sur scène, ni de discours pour les lauréats.

Dans la salle, la question a des chances d’éclipser la course aux prix entre le favori, Anatomie d’une chute, et ses concurrents, comme l’hommage à l’actrice Micheline Presle, doyenne du cinéma français, décédée mercredi à 101 ans. La multiplication des accusations nourrit le soupçon que, parmi les cinéastes, acteurs et autres professionnels du 7e art qui prendront place à l’Olympia, certains ont fermé les yeux sur ce type de faits. Les mots de la présidente de la cérémonie, l’actrice Valérie Lemercier, seront scrutés. Et la brochette de stars du cinéma français qui se succèderont pour animer la soirée, sont attendues au tournant.

Censés représenter le cinéma dans sa diversité, les César ont évolué depuis la cataclysmique édition 2020, où Roman Polanski, accusé de viol, avait reçu le Prix du meilleur réalisateur pour J’accuse, provoquant le départ de l’actrice Adèle Haenel.
Rfi