L’écrivain et géologue de métier, Fary Ndao, était l’un des premiers à publiquement sonner l’alerte sur une situation d’ostracisme et des attaques ad hominem contre plusieurs grands cadres de notre Administration publique qui auront eu la malchance de servir le régime précédent. Dans le secteur des hydrocarbures, il y a depuis un moment, un agenda vicieux qui veut indexer des responsables et décideurs pour en faire des soldats de Macky Sall qui ne feront que ralentir, voire saboter la marche du Sénégal dans ce secteur avec l’exploitation du gisement pétrolier Sangomar et du gisement gazier Grand-Tortue. C’est par une lettre ouverte adressée au ministre de tutelle, Birame Soulèye Diop, que M. Ndao s’insurgera contre ces démarches entretenues par des médias et des sorties répétées de certaines personnalités du nouveau régime. L’invite bien silencieuse est qu’il faut défenestrer le plus de hauts cadres dans le secteur des hydrocarbures et caser le plus de gens du fameux «Projet».

On peut dire qu’il n’y a pas de mal à ce que tout César voudrait se faire entourer par des centurions avec lesquels il aura eu à trimer. Mais dans certains secteurs, cette logique de lavage à grande eau des administrations peut se révéler aussi dommageable que possible. Les cadres qu’on veut chasser à tout prix, sont des serviteurs de l’Etat du Sénégal qui ont été engagés dans des projets majeurs pour notre pays et ont servi hors de toute considération politique. Ils ont souvent abandonné de sacrées opportunités ailleurs pour se jeter dans le bain et servir le Sénégal sans sourciller. Que ce soit sous le régime du Président Faye ou de celui du Président Sall qui l’a précédé, ils ont exercé leurs responsabilités en âme et conscience, et en ayant les intérêts du Sénégal en bandoulière.

Vouloir mettre en place un spoil system maladroit afin de dépouiller notre Administration de tout cadre qui aurait été là depuis le régime précédent, est ridicule, injuste et très nocif pour l’attractivité de notre haute fonction publique pour des talents. On me dira qu’avec un vivier de 4000 cadres, le pouvoir actuel peut changer tous les boulons de notre système étatique sans que la machine ne se grippe ! Il est vrai que c’est aux Etats-Unis, sous le Président Andrew Jackson, qu’il a été fait comme doctrine tacite, de dépouiller les administrations de certains cadres-clés, pour ne compter que sur des lieutenants loyaux, à défaut d’obligés qui ne bronchent pas. Dans la logique étasunienne, quand le Peuple donne mandat à un Président, il est loisible à celui-ci de choisir les fonctionnaires dans ses rangs. Avec les nombreux abus, le Pendleton Civil Service Act interviendra pour rationaliser les recrutements dans la fonction publique fédérale et surtout garantir aux agents une certaine protection en cas de changement de régime. Les derniers développements avec la nouvelle administration Trump et les coups de bélier du département de l’Efficience gouvernementale (Doge), supprimant programmes et emplois à foison, rappellent que le spoil system a neuf vies aux Etats-Unis. Ce qu’on peut malheureusement constater au Sénégal, c’est une dynamique d’évincer tout cadre qui ne serait pas du parti Pastef ou un sympathisant de la première heure du «Projet». Cela se fait au détriment de la sauvegarde de la mémoire de nos administrations. Il y a également une grosse variable de séisme social et de détresse professionnelle qui en résulte. Du jour au lendemain, les gens se retrouvent sans emploi, ils sont honnis dans la fonction publique et il leur arrive difficilement de trouver sur place, des positions dans le privé à la hauteur de leurs qualifications et faits d’armes. On ne devrait pas donc s’étonner que nos cerveaux fuient ce pays !

Je ne peux compter, ces trois dernières semaines, le nombre reçu de lettres de licenciements très souvent abusifs, de propositions de plan social et de départs négociés de travailleurs de ministères, directions publiques, d’agences parapubliques et de programmes d’Etat. Partout, on cherche à casser des agents qui ont été sans reproche dans leurs missions pour faire de la place à d’autres. Il est faussement invoqué une nécessité de rationalisation des effectifs suite à des recommandations d’audits, mais on voit que la seule chose visée, est un lavage à grande eau. La Caisse des dépôts et consignations (Cdc) et l’Anaser ont proposé des plans sociaux à leurs agents cette semaine. Quels autres services passeront à la trappe les prochains jours ?

Odi homines ignava opera, philosopha sententia, disait Pacuvius. Autant est haïssable le sage qui n’est pas sage pour soi-même, autant sont répugnants les hommes lâches dans l’action et qui ne sont philosophes (ou sages) que dans leurs dires. Les tenants de l’Etat actuel doivent savoir que dans leur logique de spoil system, ils sont en train d’affecter des gens qui ont même pu être leurs soutiens discrets. Puisque le parti trône sur tout et la condescendance doit ronger tout l’Etat, tout ce qui ne sortira pas du moule devra être combattu. C’est dans cette logique que les nominations au Conseil des ministres, dans tous les démembrements de notre Etat, ont l’air ces jours-ci de sanctions contre tous les cadres, qui ont pu être neutres ou se sont gardés de s’impliquer dans un jeu politique qui n’était pas le leur. Paradoxalement, les nominations, peu importe le talent ou la légitimité des candidats, sont souillées du cachet de la récompense à des militants, des sympathisants ou des alliés de longue date, qui étaient tapis dans l’ombre.

La Turquie, après la tentative de putsch raté contre le Président Erdogan, aura été un des derniers exemples de grosses purges dans des administrations étatiques ces dernières années. Dans notre si beau Sénégal, on ne crie pas encore, mais au rythme où vont les choses, plusieurs vaillants et talentueux cadres se retrouveront à la porte. Des milliers de fonctionnaires rompus à la tâche et loyaux plus que tout à l’Etat du Sénégal et à la République, se trouveront tous écartés. Le rappel de nombreux diplomates et fonctionnaires de nos ambassades à Dakar sans que rien ne leur soit proposés, depuis un moment, est assez évocateur comme signal. On ne peut imaginer le drame social de tous ces licenciements et ces mises au frigo. Quand on rajoute à cela les programmes qui dépendaient de l’aide internationale et de l’aide américaine que les nouveaux exécutifs Outre-Atlantique ont décidé de suspendre, on risque de voir beaucoup de travailleurs sénégalais sans emploi. Ce n’est sûrement pas ce que les concepteurs du «Projet» envisageaient pour le Sénégal, en si peu de temps.
Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn