Chaque fin est un nouveau départ

L’Armée française a mis fin hier, lors d’une cérémonie solennelle avec l’Armée sénégalaise, à sa présence militaire permanente en Afrique de l’Ouest. Il était ainsi procédé à la restitution de deux installations militaires françaises à l’Etat du Sénégal, au bout d’un processus concerté et fait en parfaite intelligence entre les troupes françaises et sénégalaises. Loin de l’agitation d’excités souverainistes et de panafricains dont l’hostilité à l’égard de la France empêche tout raisonnement lucide, c’est un virage stratégique que notre pays continue d’enclencher depuis que le Président Abdoulaye Wade en avait émis le souhait face à son homologue de l’époque, Nicolas Sarkozy. La remise symbolique des clefs du Camp Geille et de l’Escale aéronautique militaire française à l’aéroport de Dakar ponctue un désengagement français, après une coopération militaire, stratégique et sociale de six décennies.
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Il est heureux que le Général Thierry Burkhad, Chef d’état-major des Armées françaises et le Général Mbaye Cissé, Cemga du Sénégal, aient échangé le 16 juillet 2025, à la veille de cette cérémonie, afin «de formaliser la signature d’une lettre d’intention sur la poursuite» du partenariat entre nos deux pays. Ce n’est pas dans un monde changeant, avec des menaces tapant à plein nez, que deux alliés, qui échangent depuis des décennies en matière sécuritaire, en renseignements et en informations stratégiques, vont couper les ponts et se tourner le dos, malgré l’impératif d’un agenda politique s’accommodant peu d’une présence de troupes étrangères. Au souhait du Président Abdoulaye Wade de ne plus voir de troupes françaises en terre sénégalaise, tout un populisme aura pu se faire une légitimité sur la base d’un dégagisme. Le Président Bassirou Diomaye Faye jouera de cette musique en novembre 2024, en soutenant qu’un Etat souverain «s’accommoderait» mal de la présence de troupes d’un autre pays. Outre ces manifestations d’intention de nos différents chefs d’Exécutif, des déclarations irresponsables de politiciens de haut niveau et des propos déplacés auront été balancés par du personnel politique souvent en déphasage total avec la réalité stratégique. Cela a pu rendre éprouvant le processus de désengagement et de retrait. Toutefois, les troupes qui ont collaboré depuis longtemps auront su se mettre au-dessus des ressentiments qui venaient des politiques et des opinions publiques. C’est sûrement la clé de la réussite de ces passations, sans que des ponts ne soient brûlés ou que des frères d’armes aient à se regarder en chiens de faïence. Le propos du Président Emmanuel Macron, qui disait qu’il y a une «ingratitude» de certains Etats africains envers la France, aura pu choquer auprès des opinions, et certains palais en mal de résultats auront pu s’agripper à cette perche pour déverser leur bile, mais en connaissant le monde de la défense en Afrique, déclaration ne saurait être plus vraie. Comme toujours dans la relation complexe entre France et Afrique, l’émotion aura eu le dessus sur la vérité des armes.
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Dans la nouvelle intention de coopération sécuritaire, les chefs des armées sénégalaises et françaises veulent «une dynamique partenariale rénovée, équilibrée, fondée sur des intérêts partagés, une confiance mutuelle et une vision commune des enjeux». Le souci d’équilibre et d’égalité entre les deux parties est bien pris en compte, mais la réalité stratégique de notre continent et de la ceinture de feu qui entoure le Sénégal impose une lucidité dans nos options de défense. Depuis 1960, c’est sur la base d’accords de défense que la coopération franco-sénégalaise en matière de sécurité s’est reposée. De l’initiative d’appui à la construction de l’Armée sénégalaise entre les années 1960 et 1970 au retrait des unités combattantes en 2011 avec le remplacement des Forces françaises du Cap-Vert (Ffcv) par les Eléments français du Sénégal (Efs), plus orientés sur la formation et l’instruction spécialisée, la collaboration entre le Sénégal et la France aura été dans un cadre serein et touchant tous les aspects de la vie de notre Nation. Des interventions de secours au partage de données de reconnaissance aérienne et opérations de surveillance maritime, il n’y a pas eu beaucoup de restrictions dans l’alliance militaire entre nos deux pays. Dans un contexte où tout le Sahel est en ébullition avec des attaques djihadistes aux portes du Sénégal, le positionnement stratégique de notre pays est à penser de façon raisonnée, au mieux de nos intérêts, et surtout hors de toute logique belliqueuse ou populiste, pour vouloir régler des injustices quelconques ou affronts historiques.
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La présence de l’Armée française au Sénégal, c’était également tout un écosystème, avec des centaines de travailleurs de notre pays qui collaboraient avec eux. Dans la logique du départ, l’Etat français et sa représentation au Sénégal auront garanti le meilleur des accompagnements au personnel sénégalais qui assistait ses troupes. Des indemnisations, un processus de réinsertion professionnelle et un accompagnement social ont été garantis à des gens qui sont les dommages collatéraux de choix politiques entre nos deux nations. Il est salutaire que là où ce sont toujours les petites gens qui sont écrasées quand de grandes décisions sont prises, une clairvoyance d’esprit arrive à garantir gîtes, pécules et pain à ceux qui ne croient qu’en leur ardeur au labeur.
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Citant l’aviateur Antoine de Saint-Exupéry, qui aura passé beaucoup de temps au Sénégal, le Général d’Armée Mbaye Cissé dira au terme de son discours qu’il y a un «nouveau départ» pour «chaque fin». Sa posture dans cette passation a de quoi rassurer sur la façon dont la défense sera gérée dans ce pays, malgré l’incertitude que nourrit le climat actuel. Il est sûr que les bases sous contrôle sénégalais seront exclusivement opérées par nos troupes. Tout agenda qui voudra galvauder les sites réceptionnés ou toute démarche pour travestir des bases en indexant un plateau foncier seront combattus. C’est une énorme responsabilité qui revient entre les mains des troupes sénégalaises. Le temps est le meilleur des juges, mais pour ce que nous savons de notre Armée, elle ne faillit jamais devant ses responsabilités. Dans une approche avec des partenariats rénovés, il sera œuvré du mieux aux intérêts du Sénégal pour que le mât de notre drapeau reste fixe, malgré un monde qui ne cesse de changer.
Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn