Le Secrétaire général de la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal/Forces du changement (Cnts/Fc) fait état d’une série de licenciements pour motif économique à un rythme insoutenable après la fin de la durée de la Loi de d’habilitation. Evoquant les acquis obtenus par le milieu syndical, Cheikh Diop dénonce aussi dans cet entretien, un complot dont ont été l’objet ses camarades intervenant dans le secteur du transport des hydrocarbures de la part de certains syndicalistes pour les diviser, les affaiblir et les poignarder dans le dos. Le leader de la Cnts-Fc est d’avis que la problématique de l’emploi au Sénégal ne peut pas se résoudre par des actions ponctuelles.Plus d’un mois après la tenue du Conseil présidentiel sur l’emploi, quels enseignements en tirez-vous ?

La problématique  de l’emploi en général, de celui des jeunes en particulier, n’est pas très simple à résoudre, si l’on considère que plus de la moitié de la population du Sénégal, est constituée de jeunes en âge de travailler. Chaque année  au moins deux cent mille (200 000) jeunes demandeurs d’emploi s’ajoutent au marché. Or donc, devant le très  faible niveau d’absorption du secteur formel, 6,2% seulement, les deux secteurs qui auraient pu palier cette situation de chômage endémique des jeunes, à savoir l’agriculture et l’économie informelle, sont de très faible productivité.
Nonobstant cette situation préoccupante de l’emploi, je considère que les décisions, qui sont issues du Conseil présidentiel du 22 avril 2021, dénotent d’une volonté ferme du chef de l’Etat d’apporter des réponses positives à l’emploi des jeunes.

Les pôles emploi sont en train d’être mis en place. Etes-vous d’avis que cette option de l’Etat pourrait permettre de prendre en charge convenablement la question de l’emploi des jeunes ?
Si l’on considère toutes les décisions sur l’emploi des jeunes, évoquées antérieurement, je pense que la situation peut s’améliorer considérablement. Il s’agit, entre autres : des pôles emploi décentralisés, du Conseil national pour l’insertion et l’emploi des jeunes, de l’enveloppe de 350 mil­liards relevée à 450 milliards sur trois ans, la promesse de 65 000 emplois.
Mais, à mon humble avis, la problématique de l’emploi ne peut pas se  résoudre par des actions ponctuelles. C’est tout un processus qu’il faut mettre en œuvre plus une parfaite mutualisation des politiques et des structures qui œuvrent dans l’emploi. L’une des causes du chômage au Sénégal, celui des jeunes en particulier, c’est le manque d’employabilité, de formation adaptée  aux besoins du marché de l’emploi, pour la plupart de ces 200 000 demandeurs.
L’adéquation formation-emploi se pose toujours, malgré les nombreux établissements de formation. C’est ce qui avait motivé les autorités à initier un audit des formations, par la suite il y a le programme F2E formation école-entreprise, impulsé par la Coopération suisse. Ce programme est un exemple pratique de l’adéquation formation-emploi, tout comme la convention Etat-Employeurs qui consacre un partenariat favorable à l’emploi des jeunes, avec le soutien dynamique de l’Etat aux entreprises pour favoriser la formation et la réinsertion des jeunes.
Il y a lieu de souligner ici, pour le magnifier, l’option au niveau de l’enseignement supérieur  de créer  des universités thématiques (Université à vocation agricole de la région de Kaolack, celle à vocation minière prévue à Kédougou, en plus de l’Université de Thiès.) Il est vrai qu’au niveau supérieur, le problème de l’insertion se pose moins.
En matière de politique d’emploi, l’option la plus convenable c’est de considérer l’emploi dans tous ses segments : le système éducatif et de formation, la consolidation de l’emploi et sa création continue, l’environnement des affaires. Une économie forte repose sur deux piliers : l’investissement et l’emploi. C’est le salaire (l’emploi) qui booste la consommation, par conséquent la productivité et ensuite l’investissement se perpétuent.

Le 1er mai dernier, les Centrales syndicales ont encore remis au chef de l’Etat leurs Cahiers de doléances. Compara­tive­ment à l’année dernière, quels sont les grands pas qui ont été notés dans la satisfaction des revendications syndicales ?
Il faut noter que chaque année les Cahiers de doléances déposés sur la table du Président, font l’objet de discussions et de rencontres avec tous les départements ministériels concernés pour chaque rubrique de revendications. Au terme de ces rencontres, un rapport est établi. Nous devons préciser qu’un rapport n’est pas une entente, ni un protocole d’accord. C’est pourquoi d’ailleurs, beaucoup de revendications reviennent chaque année.  La conception que nous avons  du mouvement syndical, considère que l’organisation syndicale n’est pas un mur de lamentations, c’est un cadre de lutte et d’action. Au-delà des rituelles et de la symbolique du 1er mai, nous devons lutter pour faire aboutir nos revendications.
De ce point de vue, les secteurs que nous contrôlons luttent et font des avancées dans la prise en charge de nos revendications. Comparativement à l’année dernière, il y a quand même des avancées notables du point de vue de la redynamisation de la négociation collective. Trois Conventions collectives de branche dont deux dans le secteur du pétrole et gaz et une dans la sécurité privée, en plus de la Ccni – Convention collective nationale interprofessionnelle- ont été signées.
Il y a eu auparavant les augmentations de salaires de 4 à 8 % dans le secteur privé, et l’augmentation du Smig, dans une période traversée en partie par la pandémie du Covid-19. Je pense que ce n’est pas mal.

Le Covid-19 poursuit sa marche à un rythme ralenti dans le pays. Le chef de l’Etat avait fait voter la Loi de réhabilitation qui interdit les licenciements. Cette décision n’a pas été respectée dans plusieurs entreprises ? Comment réagissez-vous à cela ?
A la décharge des em­ployeurs, la Loi de d’habilitation qui a permis au Président Macky Sall de décréter l’interdiction de licenciement et d’encadrer, au pire des cas, le chômage technique, a été respectée pour l’essentiel. Certains pensent que cette décision présidentielle couvre toute la durée de la crise sanitaire mais que non, ça couvre juste les trois premiers mois de la pandémie. C’est après ce délai, que nous avons enregistré une cascade de licenciements pour motif économique à un rythme insoutenable, comme pour profiter de la situation afin de régler des comptes. Au même moment, nous avons noté beaucoup de cas de chômage technique qui foulent au pied toute réglementation. C’est le cas de la société gazière Fortesa parmi d’autres. Nous sommes encore en train de traiter tous les cas qui nous sont soumis.

Le secteur du transport des hydrocarbures a été secoué par un récent mouvement d’humeur, qui a perturbé le transport et la mobilité dans la capitale. Quels acquis vos camarades de ce secteur ont-ils pu obtenir du patronat ?
La grève de 72 heures à partir du 21 avril 2021 avait pour but d’amener les employeurs et l’Etat à la table de négociation pour finaliser la Convention du sous-secteur des transports hydrocarbures. Nous gérons avec beaucoup de responsabilité, le secteur du pétrole et gaz. Nous sommes conscients des dégâts économiques énormes qu’une grève dans ce secteur peut causer ainsi que les désagréments considérables qu’endure la population, le cas échéant. C’est pourquoi, dès que nous avons obtenu des garanties de reprise des négociations, nous avons levé le mot d’ordre de grève, malgré les quelques incompréhensions notées dans nos rangs. En effet, certains de nos camarades pensaient que la grève était décrétée pour signer avant les 72 heures, la convention, ce qui est irréaliste pour qui connaît la procédure de négociation d’une convention.
Soit dit en passant : les mercenaires du mouvement syndical, qui n’ont ni la compétence, ni la culture du syndicat du pétrole, encore moins la maîtrise d’un secteur aussi stratégique, ont saisi cette occasion pour planer comme des vautours, au-dessus du troupeau, pensant que le taureau, qui n’a que trébuché, est déjà «cadavéré».
Ce qui s’est passé à l’occasion de cette grève, a mis à nu l’adversité féroce, la jalousie, voire la haine que nourrissent des pans entiers du mouvement syndical national à l’égard du Syndicat national du pétrole et du  gaz, et à travers  lui sa centrale-mère, la Cnts/Fc. A la place de la solidarité, valeur fondatrice du syndicalisme, que certains nous ont manifestée, d’autres ont tenté de comploter pour nous diviser, nous affaiblir, nous poignarder dans le dos. Mal leur en a pris  hélas, car nous en sommes sortis plus mobilisés, plus engagés, plus soudés et plus motivés.
Nous avons engrangé ainsi une Convention collective des transports des hydrocarbures comprenant, entres autres acquis : une prime de risque de 57 500 francs, une indemnité de logement de 60 000 francs, une retraite complémentaire, une prime de décès ascendants-descendants et conjoints de 200 000 francs, des frais de déplacements journaliers, en plus d’une généralisation du 13ème mois.
Propos recueillis par Mamadou T. DIATTA
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