Farouche opposant de Jammeh, expulsé du Sénégal à cause de ses attaques sur l’ex-Président en exil, Cheikh Sidiya Bayo est désormais le bienvenu à Dakar. Dans la capitale sénégalaise, il observe la nouvelle situation politique en Gambie et conseille les nouvelles autorités. Il amnistie même Jammeh, accusé de tous les maux. Il n’a plus de rancœur.

Cheikh Sidiya Bayo, vous voilà de nouveau à Dakar après votre bref séjour dans notre capitale suite au départ de Yahya Jammeh. Quel est le motif de votre présence cette fois-ci ?  
Une visite de courtoisie comme j’ai l’habitude de le faire depuis X année. Maintenant, le contexte est différent puisque l’ère de Jammeh est passée. La Gambie s’ouvre à une nouvelle ère, un nouvel élan démocratique, un nouvel espoir du Peuple gambien. Ce n’était pas facile, mais maintenant je me réjouis de cette nouvelle Sénégambie.

Comment se porte la Gambie avec l’arrivée du Président Adama Barrow ?
Je considère que pour le moment il serait trop tôt de se prononcer sur cette question, mais ce qui est sûr c’est que les Gambiens sont contents de vivre la liberté et l’alternance. Nous avons maintenant une jeunesse libre qui ne demande qu’à s’épanouir. Et je crois que nous allons bientôt avoir une émergence dans tous les secteurs d’activités. Cela a déjà commencé avec les Forces de la Cedeao composées des pays que compte la zone et nous allons continuer à entretenir nos rapports avec ces pays-là avec des échanges commerciaux un peu plus accrus. Je pense que le Président Barrow a conscience du devoir qui l’attend. Au-delà de l’unité nationale, il y a aussi un devoir  d’accroître l’économie et cela doit rester le socle de sa politique.

La fête de l’indépendance a été célébrée avec le Sénégal comme invité d’honneur. Comment se sont déroulés les préparatifs alors que les délais étaient très courts ?
Je ne faisais pas partie des organisateurs, je ne suis pas dans l’équipe gouvernementale. Ce que je peux dire c’est que j’ai participé en tant qu’invité d’honneur à cette fête d’indépendance. Il y avait toutes les couches de la société gambienne et de la société civile, mais aussi de la presse qui n’existe plus. Nous nous sommes tous retrouvés autour d’un jour historique qui est la date du 18 février 2017, là où la Sénégambie a pu exister de manière réelle.

Dans la tribune officielle où vous étiez ce jour-là, nous vous avions vu faire une accolade au Président Macky Sall. Qu’est-ce qui vous y a poussé ?
Je le dis sincèrement et personnellement, le Président Macky Sall est le pilier de cette victoire. Pour moi, cela s’est passé de manière naturelle et vous connaissez mon histoire avec le Sénégal. Au début de la crise post-électorale, le Sénégal s’est présenté comme locomotive de la Cedeao et de la communauté internationale avec une détermination infaillible. C’est le Sénégal qui a demandé aux Nations unies d’amorcer une résolution puis par la suite l’histoire s’est accélérée. Ce qui a amené le départ de Jammeh de manière pacifique sans effusion de sang. Nous ne pouvons que nous réjouir de la présence du Président Macky Sall qui symbolise la Sénégambie. Nous pouvons quelques fois avoir des différends quand il faut défendre les intérêts étatiques. C’est le cas de notre problème en 2014 avec mon expulsion du Sénégal. Ce jour-là, je suis allé vers lui de manière naturelle puisqu’il était l’invité d’honneur.

Comment trouvez-vous l’équipe gouvernementale mise en place par le Président Adama Barrow ?
Cette équipe n’est pas encore achevée puisqu’il reste 6 postes ministériels à pourvoir. C’est une phase de transition et il faut laisser d’abord à ce gouvernement le temps d’exister. Nous ne pouvons pas aller dans la spéculation comme les gens sont en train de le faire sur son mandat qui pour certains est de 3 ans, le temps promis pour une transition, pour d’autres 5 ans, le temps prévu par la Constitution. C’est une décision qu’il est libre de prendre. Mais c’est très tôt de faire une appréciation sur cette équipe gouvernementale qui n’existe que depuis 2 mois.

Sur quoi repose votre proposition faite au Président Adama Barrow de pardonner le Président Jammeh ?
Quand on parle de réconciliation nationale et d’unité, il n’y a qu’un mot d’ordre, le pardon. Donc si on n’arrive pas se pardonner, cela est voué à l’échec. Et s’il y a échec, c’est notre génération qui a échoué. Les pays comme l’Afrique du Sud ont vécu et connu des choses beaucoup plus difficiles que ce que la Gambie a vécu. Pendant 27 ans, Mandela a été emprisonné. Je ne vais jamais comparer quelqu’un à Mandela, mais je considère que nous devons nous inspirer de son acte. Je persiste et j’insiste, pour la réconciliation nationale, il faut accorder le pardon à tout le monde, à la société civile, à la presse nationale…

Pendant le règne de Jammeh, nous avons noté des tortures ainsi que des assassinats de centaines de personnes. Est-il logique de demander le pardon pour un homme qui, pendant 22 ans, aurait commis d’atroces actes?
Quand je demande en tant que leader politique le pardon pour Jammeh, cela ne veut pas dire absence de poursuite judiciaire. Bien entendu il y aura des arrestations, mais il faut laisser cela entre les mains de la justice afin qu’on puisse savoir ce qui s’est passé. En ce moment même, il y a des arrestations qui ont été faites et elles vont toutes nous révéler la vérité sur les crimes qui ont été commis pendant le règne de Jammeh. Quand je demande qu’on pardonne à Jammeh, je ne parle pas à la justice, mais aux leaders politiques. La chasse aux sorcières est trop dangereuse pour un pays aussi sensible comme la Gambie.

Le Président Abdel Aziz de la Mauritanie s‘est vanté d’avoir réglé le problème de la Gambie en 6 heures sur une chaîne étrangère. Est-ce que vous pensez qu’il a été aussi déterminant dans la résolution de la crise comme il le prétend ?  
Ce qui s’est passé en Gambie, c’est la victoire de l’Afrique et de ses institutions. C’est celle de la Cedeao et du Sénégal qui a pris ses responsabilités quand il fallait le faire. C’est la victoire du Président Macky Sall pour sa fermeté, mais aussi du Président Alpha Condé qui a jailli quand il a fallu le faire. Que le Président Aziz de la Mauritanie s’octroie cette victoire me surprend beaucoup ! Je pense qu’il faut qu’il fasse preuve d’humilité. Peut-être un jour, nous allons savoir ce qui s’est réellement passé pour que le Président accepte de partir en paix.

Le Président Adama Barrow a effectué une visite d’Etat et signé plusieurs accords de partenariat avec le Sénégal. Comment analysez-vous ce nouveau partenariat économique entre Dakar-Banjul ?
Je crois que sur la base des accords qui viennent d’être signés dont la plupart tournent autour du secteur touristique, vous savez que le Sénégal, comme la Gambie, possède un fort potentiel touristique. Mais aussi au niveau de la sécurité, dans les mines et les minerais, nous avons eu des enchères sur des blocs off-shore en 2009 et 2011. Je pense que tout ce qui n’était pas possible sous Jammeh sera effectif avec le Président Barrow, avec une Gambie plus libérale, plus libre et plus attentive.

Le Président Adama Barrow va poursuivre ses déplacements. Il se rendra en France la semaine prochaine, pays que vous connaissez peut-être mieux que lui. Si vous deviez lui donner un conseil, qu’allez-vous lui dire ?  
Je suis sûr qu’une forte communauté gambienne l’attend à Paris où je vivais et où j’ai mené le combat à côté de la diaspora gambienne pour le départ de Jammeh de manière déterminée et intensive. Plusieurs manifestations ont été organisées à Paris par moi-même. Si j’ai un conseil à lui donner, c’est qu’il cherche à y renforcer notre représentation diplomatique, car Jammeh avait rétrogradé notre  ambassade là-bas en chargé d’affaires. Nous avons ni de consulat ni d’ambassade en France. Paris est un axe très fort en politique économique. Il faut ouvrir une ambassade et renforcer l’axe Paris–Banjul avec des accords commerciaux.

Quelle est votre nouvelle mission après le départ de Jammeh ?
J’avais mis en place le 13 septembre 2012 le Conseil national de transition en Gambie, car j’étais convaincu que Jammeh partirait et qu’il fallait une transition de manière sensible. Ce conseil que je préside poursuit sa mission, car la Gambie est en train de vivre une transition. Mais ce qui est sûr, c’est qu’on va accompagner cette transition jusqu’à son terme. Si je suis appelé à servir l’Administration Barrow, je le ferais. Je suis là pour servir mon pays. Si Barrow a besoin de moi, je suis disposé à travailler avec lui. Mais ma mission c’est d’accompagner le processus de démocratie en Gambie.