Je ne te connais pas ! Pas plus que je ne connais le fond de cette histoire dont tu es finalement l’actrice principale.  A ton corps défendant !
Comment ne pas penser à toi ?
Crois-moi, Adji, je te marque toute ma sympathie et ma compassion en cette douloureuse circonstance. Je disais tantôt que je ne te connais point.
Je n’ai cependant pas besoin de te connaître pour comprendre le sort injuste qui t’est ainsi fait et d’être habitée par une forte sympathie à l’égard de la jeune femme que tu es. Etant toutes les deux de la même génération, on aurait pu être proches, par un pur concours du hasard, même si je suis légèrement ton aînée. Dakar n’est pas bien grande, nous aurions pu nous croiser, connaître des gens en commun ou même être amies par le hasard du destin…
Cependant, je voudrais exprimer toute ma désapprobation, pour ne pas dire mon profond dégoût, de ce qui est dit à ton encontre par des personnes, les hommes en particulier, dont on saisit difficilement les motivations profondes. C’est cela qui me choque le plus, mais aussi par des femmes comme toi et moi !
Adji, c’est ton droit le plus absolu d’avoir porté plainte, si cet homme, fut-il un leader politique charismatique, a exercé la moindre pression, la moindre menace, et pire, si cet homme en est arrivé à te contraindre à quelque relation sexuelle qui soit.
Adji, c’est ta liberté de porter plainte, ton droit de te défendre, en soutenant devant les juges de ton pays les accusations que tu portes sur Ousmane Sonko. Pour nous qui sommes soucieux du respect de tes droits et ceux de chacun d’entre nous, on rappelle que quoiqu’accusé, il reste présumé innocent, jusqu’à preuve du contraire.
Adji, c’est à la justice d’élucider cette affaire mettant aux prises une jeune femme et un homme qu’elle accuse de l’avoir abusée. Une justice qui jugera, selon les règles de l’art, ayant pour guide la loi et l’intime conviction des magistrats.
Au plus profond de moi, Adji, j’espère et souhaite que tes accusations soient fondées sur des faits irréfutables ! Cela aiderait la cause de toutes les femmes qui ont été victimes de viols et de celle de tous les êtres humains, femmes ou hommes, qui combattent et traquent à juste titre les criminels sexuels.
Tout en soutenant ta cause, je ne suis animée d’aucune certitude établie.
Je n’ai rien contre l’homme que tu accuses d’avoir commis un crime sur toi. Je souhaite réellement que Sonko ait commis ce crime odieux à la suite d’une menace de mort… Non pas que j’ai un parti-pris, mais si tes accusations s’effondrent comme un château de cartes devant les juges, j’aurais mal. Tu nous aurais fait mal et tu rendrais un très mauvais service à la lutte des femmes et celles de toutes les personnes éprises de justice à l’égard des femmes, face à tous les aléas et inégalités qui leur sont imposés dans nos sociétés.
Ainsi, tu ne faciliterais nullement la tâche aux vraies victimes de viols, surtout quand on sait que les femmes sont déjà rarement écoutées, si elles ne sont pas simplement raillées, parfois insultées, quand avec un courage herculéen en bandoulière, elles décident de braver les quolibets et autres moqueries pour dénoncer leurs bourreaux. Tu rendrais impossible des dénonciations avérées d’agressions sexuelles commises par des hommes, connus ou reconnus. Ceci est   souvent arrivé et ce n’est pas aujourd’hui, ni demain que cela s’arrêtera !
Adji, tu es si forte… Je le suis bien moins que toi, car je n’ai pas eu ton courage. J’ai eu peur de ne pas être crue, peur de ne pas avoir le courage de faire face et ce que je vois me fais encore plus peur pour l’avenir… La dernière fois que cela m’est arrivé, je n’étais pas dans un salon de massage, je n’étais pas masseuse … Et pourtant, cet homme à qui le pays tout entier donne le bon Dieu sans confession a essayé de me contraindre à une relation sexuelle.
J’ai pleuré pendant une bonne demi-heure dans ma voiture, et l’ami qui m’a appelée dans ce moment de sanglots n’a rien trouvé d’autre à me dire que  «C’est pas bien grave ça, t’es trop fragile toi. C’est comme ça ici.»
J’ai tremblé de peur, puis de colère avant de me résigner à un silence amère…
Pourtant Adji, comme toi, je ne suis pas prude… loin de là ! La femme libre que je suis ne trouve rien à redire dans une relation consentie entre deux adultes majeurs ou chacun y trouve son compte… Les hommes que je mets dans mon lit ou que je rejoins dans le leur, je les choisis !
Quelles que soient les conditions, il faut refuser les contraintes faites aux femmes sous toutes ses formes, et surtout quand elles sont physiques et sexuelles. Il parait que tu t’habilles trop «sexy», il semblerait que tu ne sois «pas une sainte», on dit même que tu aurais des mœurs légères… Adji, sois rassurée ! On dit cela de moi et de tellement de femmes que je connais pour diverses raisons. Et alors ?
Cela justifierait-il que l’on n’accorde pas de crédit à ta parole quand tu affirmes avoir été abusée, menacée et de surplus par un leader politique ?
Aucunement…Ta parole ne vaut pas moins que celle de ton présumé violeur !
Les évènements qui ont suivi demeurent de la politique et qui est bien instruit saura faire la part des choses entre tes accusations et la défense qu’affiche ton présumé agresseur….
Cette affaire que l’on politise ne l’est pas. Cela ne se passe pas entre le Pastef et l’Apr.
A l’heure où, ailleurs, on comprend l’impact psychologique des traumas des victimes d’agressions sexuelles, ici on réfute sans écouter au nom d’un complot politique, d’une orchestration étatique au plus haut sommet ! Chère Adji, malheureusement, je t’espère réelle victime des faits que tu avances. Je connais cette position, je connais tellement de femmes silencieuses dans cette position de «victime bâillonnée».
Puisse la justice faire son travail pour juger de la véracité des faits, afin que nous puissions rejoindre ton légitime combat pour que plus jamais dans notre pays, on ne contraigne une femme impunément !
En toute sororité….

Ta sœur Gabrielle KANE