Chroniqueurs au Sénégal : Pour une sélection plus rigoureuse sur les plateaux télévisés

La prolifération des chroniqueurs dans les médias sénégalais, en particulier à la télévision et aux Web Tv, soulève aujourd’hui de nombreuses interrogations quant à la qualité des interventions et à la légitimité de ceux qui prennent la parole. Ma position est claire : les médias doivent impérativement revoir les critères de sélection de ceux qu’ils invitent sur leurs plateaux, en tant que chroniqueurs. Il ne suffit pas d’avoir de l’éloquence ou une présence médiatique pour se revendiquer chroniqueur.
Être chroniqueur n’est pas un rôle que l’on s’attribue à la légère. Dans les écoles de journalisme, il est bien enseigné que la chronique est un exercice réservé à des journalistes chevronnés, dotés d’une solide expérience, capables d’analyser avec nuance et recul des sujets complexes. Ce n’est qu’après plusieurs années de pratique journalistique qu’un professionnel est en mesure de produire une chronique digne de ce nom.
Pour les non-journalistes, la rigueur doit être la même. On ne peut pas être chroniqueur généraliste, intervenant indistinctement sur tous les sujets, de la politique à l’économie, en passant par la culture ou le sport. Pour prétendre à ce statut, il faut être un spécialiste reconnu dans un domaine précis. C’est cette expertise qui fonde la légitimité d’un chroniqueur. À défaut, on assiste à une confusion des rôles, où les débats se vident de leur substance, laissant place à des opinions personnelles sans fondement, voire à de la désinformation.
Il est temps que certains médias sénégalais prennent leurs responsabilités. Le plateau télévisé n’est pas une tribune pour amateurs. Il est un espace d’influence, de pédagogie et d’analyse, qui doit être occupé par des voix crédibles, compétentes et responsables. Cela implique un tri rigoureux, une revalorisation de l’expertise, et un respect des standards professionnels. Redonner à la chronique sa noblesse, c’est aussi rehausser la qualité du débat public et renforcer la confiance des citoyens dans les médias.
Pour des débats centrés sur les idées et les enjeux et non sur les personnes et les jugements de valeur
Une autre dérive préoccupante dans les médias sénégalais aujourd’hui concerne la nature même des débats proposés au public. Trop souvent, ces discussions s’articulent autour de personnes, de polémiques individuelles, ou de jugements de valeur sans fondement objectif. Ce glissement est non seulement contre-productif, mais il participe à l’appauvrissement du débat public et à la montée de tensions inutiles dans l’espace social.
Les médias ont un rôle fondamental à jouer dans l’élévation du niveau de conscience citoyenne. Ce rôle ne peut être rempli que si les débats sont orientés vers des thèmes d’intérêt général : éducation, santé, gouvernance, emploi, sécurité, environnement, sport ou encore la culture. Ce sont ces sujets qui touchent réellement la vie quotidienne des sénégalaises et des sénégalais et qui méritent une attention approfondie, avec des analyses basées sur des faits, des données, et des propositions concrètes. Or, ce que l’on constate trop souvent sur les plateaux, ce sont des discussions centrées sur des individus : qui a dit quoi, qui a insulté qui, qui soutient qui, etc. Cette personnalisation excessive détourne l’attention de l’essentiel et transforme les espaces médiatiques en arènes de règlements de comptes, au détriment de la réflexion collective. De plus, les jugements de valeur qui y sont régulièrement émis (souvent sans preuves, sans équilibre, et sans droit de réponse) nuisent à la crédibilité des médias et à la qualité du débat démocratique.
Les médias doivent donc assumer pleinement leur mission de service public. Cela implique de recentrer les débats sur des problématiques structurantes pour le pays, en faisant appel à des intervenants qualifiés, capables d’apporter des éclairages utiles, dépassionnés et orientés vers la recherche de solutions.
En somme, pour que les débats soient réellement constructifs et bénéfiques à la société, ils doivent se libérer de la logique des attaques personnelles et des jugements subjectifs, pour s’ancrer dans une logique d’analyse, de pédagogie et d’intérêt commun.
Bassirou MBAYE
Journaliste
Le journal de l’économie sénégalaise (Lejecos)
mbayebachir87@gmail.com