Des visages attristés, des mines déconfites, la douleur se lit sur les nombreux visages frappés par le deuil, la mort inattendue. Quelle surprise, c’est impensable, ce n’est pas possible. Elle est partie, très tôt, trop tôt. On n’a même pas eu le temps de la baptiser. Quelle tristesse, quelle douleur ! Elle était tellement attendue, tellement souhaitée, chantée, magnifiée, désirée. Malheureusement, comme d’autres enfants, arrachés très tôt à notre affection, c’est un bébé mort-né. Alors, jetons le bébé avec l’eau du bain. Les cimetières sont remplis, d’une part, de grands et importants projets, et d’autre part, de projets-mirages. Parmi ces derniers, celui de la fameuse rupture systémique vient d’y être inscrit en lettres capitales.
Une partie de la jeunesse/de la population y avait cru, avait magnifié, défendu avec véhémence, avec des mots qui frisent l’insolence, l’insulte, l’idée de rupture systémique. Ceux qui étaient tentés de souligner les limites et incohérences de cette belle vue l’esprit sont vite rabroués, cibles de mépris, de discours orduriers. Ils étaient taxés de complexés, de suppôts de la France, de l’impérialisme, du néocolonialisme, de faux panafricanistes, l’insolence était à son paroxysme. Tout était beau, tout était magnifique, la frénésie était là pour accompagner, comme de coutume, un projet dont pourtant les contenus étaient illisibles. Mais bon, l’emprise idéologique avait déjà fait son effet, le travail de démystification était impossible, les voix opposées étaient réduites au silence, voire inaudibles. Il fallait accompagner et soutenir les souverainistes, les rupturalistes, c’est une nécessité, un impératif. Ils vont nous sortir du gouffre, de l’ornière, le Sénégal a de nouveaux sauveurs, de vrais révolutionnaires qui vont radicalement rompre avec les anciennes pratiques, la façon de faire de la politique depuis les indépendances, les vrais soleils des indépendances viennent de pointer à l’horizon. Alors, merci qui ? Merci Ahmadou, non, merci au nouveau messie, au géant, au vrai panafricaniste, au pourfendeur de la Cedeao.
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Mais au fond, nos nouveaux héros avaient-ils vraiment compris que le renversement -socle de leur projet- n’est pas un changement ? Les dialecticiens seront chargés de leur expliquer cela. Nous serons heureux, s’ils arrivent à comprendre. Ils ont tous dansé, de façon endiablée et frénétique, la fin du système, la mort du système qui symbolise l’avènement de l’antisystème. Sauf qu’un crayon renversé demeure le même crayon, c’est l’unique disposition qui a changé, rien de nouveau sous le soleil ardent. Attention, pas aussi fort, ce ne sont pas des adeptes de la dialectique. Donc, faut simplifier, parler de façon simpliste et scolaire. Mais bon, ce sont quand même de gros calibres. Même pas peur ! Ce sont des génies, entourés et aidés par beaucoup d’intellectuels qui ont façonné, rédigé et porté le fameux Projet. Avec eux, le Sénégal, un pays hors-temps, hors-histoire, peut maintenant s’inscrire sur les rampes du développement. Nous sommes bénis des dieux. Quelle chance !, la félicité a porté son choix sur notre pays pour être dirigé enfin, et pour la première fois, par de vrais patriotes, des éclairés, de vrais sachants qui ont la solution de tous nos maux. Depuis 1960 jusqu’à nos jours, tout ce qui s’est fait n’a pas d’importance, faut faire table rase de tout, comme si nous n’avions jamais eu de grands hommes, de grands hommes politiques. Ils viennent juste d’arriver, on vient juste d’en avoir. Rendons grâce à Dieu. Le Sénégal est béni.
Senghor, Diouf, Wade, Macky ne méritent aucun éloge, ils représentent le système (dont la définition est toujours très alambiquée) et sont responsables de notre sous-développement. Au piquet. Ces derniers maîtrisaient au moins la langue institutionnelle. Et, ce n’est pas une mince affaire. Parler, c’est déjà poser des actes, dire, dire bien et/ou bien dire, c’est faire advenir une réalité. Austin ne nous démentira pas. La valeur performative du langage. Pardon, c’est fort de café. Avec nos nouveaux dirigeants, force est constater que l’excellence linguistique et culturelle héritée de Senghor va en vrille. Le Sénégal, symbole de grandeur et d’excellence, quand Senghor parlait, cela forçait l’admiration et l’écoute, voit son image écornée par des dirigeants qui peinent à s’exprimer et qui éprouvent d’énormes difficultés à aligner des phrases correctes. Notre Président, lors de ses nombreuses apparitions, chahute terriblement la langue. A chacune de ses prises de parole, on tremble. Ce n’est pas méchant, il ne faut pas fermer les portes, les fenêtres et tirer les rideaux, parce que quand c’est lui qui quitte Dakar pour aller en Guinée, il quitte Dakar pour aller chez lui. Assez ? Pas encore. Il va porter l’estocade avec les fameuses relations «internationaux». Le comble ! Yassine Fall, notre voix à l’international, un gros calibre qui trébuche à chaque phrase, nous réduit à de simples «mangeurs de pain». Les Peulhs ne pourront plus se moquer de leurs cousins sérères. Dieu merci ! Le ministre de la Communication doit apprendre à communiquer. Un stage au collège ne ferait pas de mal. De telles maladresses ne sont pas de simples détails, c’est l’image de notre pays qui en prend un sacré coup. Pas matière à rigoler.
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Le messianique Projet devait apporter la rupture, il devait être l’incarnation de la fin des anciens systèmes, la matérialisation de nouvelles pratiques politiques et de gestion du pouvoir. C’est mirifique ! Tout dans les discours se résumait au Projet. Projet matin, midi, soir. C’est l’extase. Extraordinaire ! C’est le symbole de la culture, la sortie de la caverne. Paradoxalement, aucune explication plausible, de ce qu’il est, ne nous est donnée. Comment ce qui n’existe pas encore -peut-être existera-t-il un jour- peut-il permettre d’opérer une rupture ? Ma langue au chat. Le paradoxe du Projet, c’est qu’il n’a pas encore vu le jour, les injonctions du Fmi et le communiqué du Conseil des ministres l’attestent. C’est pourtant lui qui porte la rupture, le symbole parfait de la rupture. Purée ! Le ridicule a du chemin ! Rupture dans la continuité. Merci Sève pour l’heureuse formule.
La rupture, dans les actes, les comportements, les agissements, attendra. Les exemples de la répétition de l’histoire sont multiples et font tache. Quand on voit un super directeur -pourfendeur, dans un passé encore présent, de certains comportements des dignitaires de l’ancien régime- se faire apparemment plaisir dans un cortège digne d’un film hollywoodien. On a le droit de se poser et de s’interroger sur les profils des hommes. Malheureusement, il est loin d’être le seul.
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L’équipe a changé -pas totalement d’ailleurs-, mais les mêmes pratiques demeurent. On nous a promis, chanté, fait l’éloge de l’indépendance de la Justice, l’indépendance des différents pouvoirs. Quelle noble mission ! Dans les actes et comportements, il en va autrement. Comment comprendre qu’un Premier ministre -adepte maintenant de grandes déclarations au Grand Théâtre, lieu sans doute de sa tant attendue et différée Dpg- puisse dire que le ministre de la Justice lui a envoyé des vidéos d’un de ses partisans qui proférait des insultes afin de savoir ce qu’il fallait en faire ? Il n’a pas mesuré la gravité de ses déclarations, mais bon quand on s’exprime partout, tout le temps et en tout lieu, on peut s’attendre à ce que sa langue fourche constamment. Thierno aurait encore sursauté comme s’il avait marché sur la géhenne. Quelle ambiguë aventure ! Le Service de communication a du travail. L’ironie dans cette histoire, c’est qu’on a vu et entendu, un autre partisan, et sans doute, proche du Premier ministre, proférer des insultes qui frisent l’indécence à l’endroit du président de la République. Résultat des courses, il se prend fièrement en selfie avec le Premier ministre. Quel triste et choquant message envoyé !
Cela ne devrait pas choquer. Quand des insulteurs publics, des personnes qui sont impliquées (les vidéos sont toujours là) dans des scandales ou des business de visas, sont promus à des hautes instances, le message n’est plus subliminal, il est très perceptible. L’insulte paie ! Pas besoin de s’opposer, la Var le fait très bien. Merci aux outils numériques ! Mais attention, ils seront bientôt régulés. Pas de mots déplacés, pas d’insultes. On peut s’opposer sans insulter, encore moins calomnier. Rigolons sous cape. Ironie quand tu nous tiens ! Effet Var ou Varophobie. La hantise de la Var.
L’antisystème a fait allégeance au système, le système perdure. Il a fait coalition avec lui durant les élections, et bien avant, il a recyclé les anciens du système pour arriver au pouvoir. Peut-être, c’est le système qui a aussi la peau dure, en tout cas on en a assez d’entendre : le roi est mort, vive le roi. Le roi est mort, vous l’aviez dit et promis, donc basta ! Les hommes politiques, tels des caméléons, ont la latitude de changer de manière permanente. Le monstre -le système- ne devait plus, en toute logique, renaître de ses cendres. Mettre fin au système n’équivaut pas à recycler ceux qui ont longuement appartenu au système, qui ont cheminé avec lui et qui ont vite fait de changer de veste quand ce dernier était aux agonies. Le cercle se referme ! Problème de circularité ! Du pencco (délibération), on passe alors au pathio (partage) national. Il faut récompenser tout le monde, même nos anciens pourfendeurs. Festin !
Lire la contribution – La falsification politicienne du rapport du Fmi
La fameuse théorie aussi controversée que polémique du/ou de la Da’wa -que sais-je encore ?- vient également de mourir de sa triste mort. Son porte-étendard a ravalé ses vomissures. N’est-ce pas lui qu’on a vu s’agenouiller devant un guide religieux ? Inimaginable, impossible. C’est sans doute son double. Notre mémoire est défaillante, elle apporte peut-être le fagot qui lui plaît. Dieu soit loué. Les politiciens sont capables de tout, ils sont parfois frappés d’une amnésie sélective. Peut-être utilisent-ils tous les moyens -même non conventionnels- pour parvenir à leurs fins et assouvir leur faim. Les fondamentaux qui étaient chahutés hier, sont valorisés aujourd’hui. Qu’Allah continue de sauver le Sénégal.
Pour l’instant, un constat s’impose : les perspectives économiques sont sombres, dixit le Fmi.
Madame Aminata Touré -hier, théoricienne du «carnet d’adresses de Sweet Beauté», aujourd’hui, farouche défenseure du nouveau régime- ose nous dire que telles prévisions s’expliquent par la fin de règne catastrophique de l’ancien régime. La décence lui intime l’ordre de se taire. Décence ? Douce utopie. Politique et décence ? Impossible ou difficile mariage. Mimi est le prototype de ce difficile mariage. Rancune, amertume, déception, que-sais-je encore ? Hier, Macky était magnifiquement décrit par tata Mimi bye-bye, aujourd’hui, à l’en croire, ce dernier est le symbole de la déchéance. Les vertes prairies peuvent nous faire perdre notre lucidité. Néanmoins, une once de dignité ne ferait pas de mal. En politique comme en amour, le divorce ne devrait pas être synonyme de médisance et d’inimitié. Aminata Touré a d’ailleurs tout faux si on se réfère au rapport élogieux, du mois de juin, du Fmi, lequel est totalement différent de celui du mois de septembre. Trouvez l’explication ailleurs. La bonne foi, s’il vous plaît. Qu’est-ce qui a changé en si peu de temps ? Ce que l’on sait, c’est que les prix n’ont connu aucune baisse qui puisse impacter notre quotidien. Un petit tour au marché suffit pour s’en rendre compte. Ceux qui donnent la dépense quotidienne en savent quelque chose. Repose en paix chère rupture. Les morts continuent d’exister dans les souvenirs des vivants. Belle sépulture !
Ousmane SARR
Enseignant-chercheur Ucad
Je ne partage ton point de vue maître qui vie verra bientôt inchallah 🙏.