Ci-git l’entreprise privée, chronique d’une mort du capital

J’ai lu avec beaucoup d’amertume hier, l’article à la Une du journal Le Quotidien, relatant les difficultés que traverse un géant des travaux publics et de la construction, le groupe Cde. Fleuron des Btp dans notre pays, le Consortium d’entreprises (Cde) opère dans notre pays depuis 1967, mais il a rarement fait dans son histoire, face à autant de difficultés. En effet, le groupe est selon l’intersyndicale de ses délégués du personnel devant «l’une des crises les plus graves de son histoire». Une entreprise dont jadis le nom dénotait qualité, excellence et stabilité voit tous ses chantiers arrêtés par l’Etat et son carnet de commandes vide. Pire, le personnel court après cinq mois de salaires impayés, avec des créances dues par l’Etat sénégalais qui avoisinent 19 milliards nos francs. Observer une si grande entreprise s’effondrer et être fragilisée est plus que criminel dans un pays où les nouveaux hommes forts n’ont cessé dans leurs vies d’opposants excités de vendre la carte d’une consolidation du capital sénégalais et de l’appui aux entrepreneurs sénégalais. Les alertes du Syndicat national du Btp (Snbtp) au mois de juillet, au moment où il présentait ses neuf recommandations au gouvernement sénégalais pour la relance du secteur du bâtiment et de la construction n’étaient donc que les signes avant-coureurs d’une ruine entière d’un secteur grandement pourvoyeur d’emplois. Ce qui arrive à Cde, c’est malheureusement ce qui se passe dans tous les secteurs d’activité du pays. Il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas constater que l’économie est à 10.000 pieds sous terre. Il faudrait plus qu’un plan de relance pour sortir des abysses beaucoup d’entreprises sénégalaises, et surtout maintenir celles-ci en vie. Un quatrième sous-sol, disons plutôt le fond d’un gouffre abyssale !
Dans les Btp, dans la distribution, dans les transports, dans l’industrie et dans les services, les entreprises peinent à sortir la tête de l’eau, entraînant leurs travailleurs dans une précarité sans nom. Il suffit juste de se mettre dans une banale opération de recouvrement pour se rendre compte que les plus solvables de la place dakaroise peinent à signer des chèques à temps ou opérer des virements à jour. Quand certains titans du secteur public roulent sur des découverts bancaires à n’en plus finir et prennent à la gorge toute leur clientèle afin d’équilibrer leurs comptes, le naufrage n’est guère loin. Les privés ne cessent de jongler en équilibre avec leurs conseillers bancaires. Les annonces de vente de voitures saisies, de propriétés reprises par des établissements financiers donnent une lecture assez cynique et froide du drame qui se déroule sous nos yeux.
On se rappelle bien que le 5 mars dernier, le président de la République Bassirou Diomaye Faye évoquait lors du Conseil des ministres l’urgence de payer la dette intérieure. Il intimait à son Premier ministre et au ministre des Finances d’examiner les voies et moyens devant permettre au gouvernement le paiement rapide de la dette intérieure. Six mois plus tard, la situation n’a pas bougé pour beaucoup de monde. Faudrait-il présenter la carte du parti Pastef pour se faire payer ou faudrait-il montrer comment seront utilisées les ressources recouvrées pour se faire payer ? La plupart des entreprises sénégalaises et étrangères qui attendaient des paiements de l’Etat du Sénégal ont soit mis leurs agents en chômage technique, les ont congédié en fermant boutique ou manœuvrent difficilement en traînant des arriérés de salaires et en n’arrivant à ne respecter aucun de leurs engagements auprès de leurs fournisseurs et partenaires. Quel intérêt l’Etat du Sénégal et son gouvernement gagnent-ils à serrer autant la vis sur les créateurs de valeurs et ceux qui génèrent des richesses ? Pourquoi une telle hostilité face aux initiatives entrepreneuriales et au monde des affaires ? Notre Etat a-t-il comme agenda de mettre à genoux tous les fleurons de notre économie et de combattre tout beau nom ayant pignon sur rue par le mérite de leurs efforts et grâce à des sacrifices considérables ? Le fait que depuis la prise de pouvoir du nouveau régime, les hommes d’affaires soient tous traînés devant les cours et tribunaux dans des poursuites plus ou moins fondées, renvoie l’image d’une croisade contre les capitaines d’industries, le monde entrepreneurial et tous les investissements étrangers dans notre pays. Le Premier ministre aura beau faire tous les road shows pour attirer des investisseurs, personne ne se risquerait à venir s’établir dans le Sénégal actuel pour y faire fructifier des affaires.
Je ne peux pas accepter que le président de la République soit satisfait en recevant dans son bureau toutes les alertes sur la détérioration de la situation des entreprises et tout le drame social qui en découle. Cela est d’autant plus révoltant qu’avec l’effondrement du tissu économique, des entrepreneurs politiques qui ne sont que par la force de leurs gueules occupent des stations commodes de notre Etat, mènent grand train et surtout chahutent dans leur démarche tous ceux qui se tuent dans l’effort.
Rien n’est plus irresponsable que d’asphyxier des entreprises en refusant de leur payer leurs dus, en se disant qu’à moyen et long terme, elles fermeraient boutique. Ce procédé éprouvé face aux entreprises privées de presse, est désormais servi à différentes structures dans toutes les formes de conseil, ainsi qu’à toute entité dont on suspecte des accointances avec les régimes qui ont eu à se succéder. Le journaliste Bachir Fofana fera une révélation pleine d’enseignements à la Sen TV sur la confidence d’un avocat sénégalais qui aura vu son cabinet délesté de son marché d’accompagnement juridique d’une structure publique, car les conseils de ce cabinet n’auraient pas eu à défendre l’actuel Premier ministre dans ses déboires avec la justice. Peut-on s’arrêter pour peu sur le sadisme d’une telle logique d’épier les postures de professionnels et le ridicule d’en faire des sources de veto, dans un pays qui se veut terre d’affaires ! Briser des entreprises peut être un projet politique sournois, mais il faut se rendre à l’évidence que ce sont les travailleurs, issus de toutes les composantes du peuple, qui en paieront le prix fort. Appliquer la formule de la mise à mort programmée ne sera qu’un échec que le régime actuel traînera.
Quand on se rend compte que des contrats de prestation de service comme ceux liant le Groupe Futurs Médias à la Lonase ont pu être cassés de façon abrupte et aussi irresponsable par la simple pression d’excités des réseaux sociaux, on ne peut pas croire notre Premier ministre devant le patronat quand il leur partage sa vision d’une économie forte tenue par les nationaux. Pendant son séjour au Golfe, il aurait été bien qu’un des conseils du Pm lui glisse un exemplaire de l’ouvrage The Sheikh CEO par Yasar Jarrar ou une copie de Trust de Francis Fukuyama. Entre autres conseils sur la création de la confiance dans une économie et sur la nécessaire dynamique d’appuyer entreprises et entrepreneurs peuvent s’y trouver. Il restera toujours à dire, mais aux funérailles du capital et de l’entreprise privée dans ce pays, la danse du scalp pourra être exécutée en se gaussant d’avoir écrasé des entrepreneurs, capitaines d’industrie et hommes d’affaires «gênants». Toutefois, ce bal macabre se dansera sur les corps des milliers de travailleurs qui auront perdu leurs emplois et qui auront pour une grande majorité cru au «projet» de société vendu par les tenants actuels du pouvoir. Les Btp, l’hôtellerie, la restauration, les services, l’industrie, le tourisme, on peut dire que rien ne marche. Est-ce donc ça, le Sénégal des rêves des porteurs du Projet ? Aujourd’hui, c’est le Cde, avant-hier c’était la Sonaged, au début du mandat c’était le collectif des travailleurs licenciés de la Fonction publique, demain, ce sera peut-être le tour de votre entreprise.
Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn