Du long au Dakar Court. Le Festival international de courts métrages a connu une séance spéciale : une projection spéciale du biopic de Jean-Claude Barny consacrée à Frantz Fanon. Une première dans la septième édition du festival qui a vu le jour en 2018.Par Moussa SECK –

La lumière jaillit des ténèbres. Les ténèbres, quelque part où l’on a embastillé des patients, où ne pénètrent ni lumière solaire ni chaleur humaine. Un quelque part sans nom. Une lumière donc, cueillie par deux mains noires, qui ouvrent une fenêtre. Deux bonnes mains portées par un corps robuste, sublime et droit dans son tailleur dont la beauté se voit amplifiée par la blancheur de la blouse. Docteur ! Docteur Fanon l’appelle-t-on dans les couloirs de l’hôpital psychiatrique de Blida. Fanon, aussi, est le titre du biopic taillé pour Alexandre Bouyer qui incarne Frantz.

Algérie, 1953. Un ordre établi, un combat à mener. Et «je vais perturber tout ça» ! Parole du chef de service qui n’est en poste que depuis…un jour. Dans le film, en tout cas.

C’est cependant depuis toujours, pour ne pas dire très longtemps, que Jean-Claude Barny rassemble ça et là les éléments qui feront son Fanon. Cette figure et ce qu’elle représente n’ont jamais cessé de traverser son entreprise de raconter l’histoire à l’écran. La série Tropiques Amers ne présageait-elle pas le long métrage présenté au public du cinéma Pathé de Dakar, vendredi 13 décembre 2024 ?

«Je me devais de le remercier»
M. Barny est ainsi porté par quelque chose, comme l’est son personnage dont l’âme balbutiante est contée par de fréquents gros plans. Voyez-le, qui ne comprend un traitre mot de ce que disent ces révolutionnaires algériens retranchés dans leur village, mais qui entend le cri de leur cœur et qui en fait l’écho dans un regard fixe. Etincelant. Et quelque peu menaçant. «Je vais perturber tout ça», avait-il dit ! Le projet d’une salle de prière, dans un hôpital psychiatrique, dans cette Algérie des années 1950… si ça, n’est pas perturber ! En son temps, le psychiatre était un perturbateur nécessaire. Dans le biopic à lui consacré, il est plus que nécessaire : tout tourne autour de lui et c’est son évolution qui tire dans son sillage le déroulé du long métrage. Dans la vie de plus d’un qui se nourrit encore de ses écrits et de sa vision, il est d’une extrême nécessité. «C’est quelqu’un qui m’a guidé», dit Jean de Frantz. «Je me devais (…) de le remercier», ajoute Claude à propos de Fanon. «C’est un film-hommage», déclare-t-il, concernant sa réalisation dédiée à Frantz Fanon. (Déshabiller totalement Bouyer, jusqu’à sa plus basique nudité est-ce aussi rendre hommage à Fanon ?)

Un film à 90% sourcé et historique
La musique du Fanon de Jean-Claude Barny ne chante pas. Elle est accompagnement. Accompagnement, par exemple, d’une triste scène d’exécution par balles en pleine tête. Malheur à qui chante lorsque le bled brûle ! La musique de Fanon est accompagnement. Qui accompagne des séquences de tension, comme un tonnerre dans une nuit de pluie. Et les instruments à cordes savent se taire pour laisser claironner une simple mais symbolique peau de banane jetée sur l’épaule du Dr par un raciste. Violence coloniale, exprimée par plomb et banane ! Tout ça est bien sombre, mais, la lumière de la photographie du film vient rétablir l’équilibre. Lumière dans les caméras, couleurs dans les costumes créés par Carmen Di Pinto : dire des pages lugubres d’une histoire n’est pas synonyme d’assombrissement des séquences qui les portent à l’écran. Caméra ? Les équipes de Jean-Claude Barny avaient des pinceaux pour peindre deux heures du Fanon.

A l’écran, ce n’est pas que l’œuvre du réalisateur qui s’écrit sous le regard des spectateurs. On laisse place dans le scénario au psychiatre. Qui lit sa pensée…qu’on fait lire à Alexandre Bouyer. Qui écrit ses pensées…dactylographiées par son épouse Josie, incarnée par l’actrice Déborah François. Elle, est le stylo, l’encre et la mémoire qui enregistra Les damnés de la terre. Les damnés de la terre, cette pile de feuilles déposée sur une table par Josie, devant un Frantz qui a vu les signes de la maladie qui lui tracera la route de l’ultime voyage. Scène tunisienne, après déplacement depuis l’Algérie qui devenait de plus en plus dangereuse pour la famille Fanon. Les déplacements, les idées, les personnages ne sont pas l’imagination de J.C. Barny. Le biopic de ce dernier est «à 90% sourcé et historique», ainsi qu’il le dira face à un public du Pathé qui a applaudi le film. On a même pleuré. On, cette dame qui disait au réalisateur «merci, merci pour l’Afrique». Merci disait-elle, à Barny.
moussa.seck@lequotidien.sn