L’œuvre de Djibril Diop Mambety est de plus en plus réévaluée et ses films érigés au rang de classiques. Après le fougueux «Touki Bouki», 1973, découvert au Festival de Cannes et restauré par la World cinema foundation de Martin Scorsese en 2008, c’est au tour de «Hyènes», 1992, en compétition au Festival en son temps, d’être restauré et honoré dans la section Cannes Classics en 2018. L’initiative permet au film de retrouver ses couleurs vives et un nouveau public puisqu’une société de distribution française le propulse sur les écrans dans sa version numérique.
On apprécie d’autant plus ce regain de vitalité que Hyènes a été un projet long et lourd dans la trajectoire du cinéaste sénégalais. Le jeune auteur prodige de Touki Bouki ne s’est pas relevé de l’accueil plutôt froid de son film prémonitoire. Il a perdu pied tout en cultivant un rêve de jeunesse, provoqué par la vision d’une prostituée majestueuse de son quartier, Linguère Ramatou. Un nom qui signifie l’oiseau noir dans une légende pharaonique. Le scénario imaginé par Djibril Diop Mambety trouve un écho dans La visite de la vielle dame du dramaturge suisse Friedrich Dürrenmatt, 1955, dont il adapte le thème selon ses visions.
La réminiscence d’un film américain de 1964, basé sur la pièce, La rancune de Berhnard Wicki, avec Ingrid Bergman et Anthony Quinn, marque Mambety. Aussitôt les droits de la pièce acquis, il se lance dans une entreprise ambitieuse qui trouve un aboutissement à la fin des années 80. Avec le temps, des producteurs le suivent, mais le premier tournage se solde par un échec, dû surtout à un problème technique sur la pellicule. Le second, relayé par des collaborateurs motivés, remet en selle les rêves du cinéaste. Affaibli, affublé d’une attelle due à une mauvaise chute, il supervise le film et joue avec sa stature habituelle, le chambellan attaché à Linguère Ramatou.
L’action tourne autour de cette femme hautaine, à la beauté implacable, aux traits creusés. Son retour à Colobane, le lieu de sa jeunesse, en banlieue de Dakar, qu’elle a quitté pour amasser une fortune conséquente en faisant commerce de ses charmes, surprend tout le monde. A commencer par Dramaan Drameh, l’épicier et futur maire qui fut son amant et n’a jamais reconnu l’enfant qu’elle portait en fuyant sa communauté. L’arrivée de la dame, bardée d’une prothèse en or après un accident, entourée de sa cour, composée de trois femmes de chambre et d’un juge qui fait office de chambellan, frappe les esprits et intrigue. On attend les largesses de Linguère Ramatou, mais on entend d’abord sa vengeance.
Le Vieille Dame est revenue se venger de son amant dont elle demande le châtiment aux villageois, en échange de ses milliards. L’indignation, puis la résistance laissent vite place à l’intérêt et Dramaan Drameh se retrouve isolé, menacé et inéluctablement châtié. La métaphore de la hyène qui s’abat sur sa proie tandis que les charognards rôdent inspire, fascine et imprègne la fiction de Djibril Diop Mambety. On peut y voir un symbole du sort de l’Afrique en proie aux rapaces du Fonds monétaire international (Fmi), à l’endettement, la perversité des aides alimentaires, mais aussi aveuglée par les mirages du capitalisme occidental, de la consommation, de la soumission aux démons du colonialisme renouvelés.
Des acteurs rencontrés dans la rue
La fable de Djibril Diop Mambety se développe sur une mise en scène hiératique, parfois théâtralisée où se mêlent des codes disparates, des couleurs fortes, les costumes créés par Oumou Sy, le rythme africain sublimé par la musique de Wasis Diop, frère du réalisateur. La dimension universelle s’amplifie avec des personnages saillants comme la femme de chambre asiatique, le chambellan sénégalais, joué par Mambety, l’auto ancienne de l’héroïne et ses parures hors des modes. Hyènes vibre par l’interprétation habitée de ses acteurs principaux, rencontrés dans le rue : Ami Diakhaté, la Vieille Dame, et Mansour Diouf, l’amant infidèle. Autour d’eux se remarquent des figures du cinéma sénégalais, de la scène africaine telle l’Ivoirienne Hanny Tchelley.
Au final, Hyènes s’avère un film majeur qui célèbre la force de caractère, la fierté féminine, la croyance en son destin, mais aussi l’affirmation de l’âme africaine. Comme le pointait le cinéaste sénégalais, rencontré peu avant le tournage : «La hyène est un animal d’Afrique. Son cousin est le charognard. Elle ne tue, pour ainsi dire, jamais, mais elle est capable de suivre, pendant toute une saison, un lion qu’elle sait malade, pour, au crépuscule, se délecter de sa dépouille. Tranquillement. Les hyènes ont le temps.»
Afrimages