Producteur sénégalais à la filmographie impressionnante, Souleymane Kébé était, ce mercredi, l’invité de l’Association sénégalaise des critiques cinématographiques (Ascc) dans le cadre du «Waxtaan si Cinéma». Des rencontres périodiques à l’initiative du nouveau bureau de l’Ascc présidé par Bigué Bob, journaliste et rédactrice en chef du journal Enquête. Pendant cette rencontre qui porte l’ambition d’améliorer la formation des journalistes culturels du Sénégal, le producteur de «Banel et Adama», «Tirailleurs», etc., a insisté sur l’absence des chaînes de télévision dans l’écosystème de la production au Sénégal.Par Ousmane SOW – 

Souleymane Kébé, producteur sénégalais, a posé un regard critique sur l’écosystème de la production en Afrique. Et le principal élément qui grince dans le rouage au Sénégal, semble être l’inertie des chaînes de télévision. A 38 ans, Souleymane Kébé a déjà à son actif, 10 films longs et courts métrages, aussi bien en fiction qu’en documentaire. Le coproducteur des films Banel et Adama, Sira, Astel, Dent pour Dent et Tirailleurs, entre autres, a invité ainsi les chaînes de télévision sénégalaises à accepter de coproduire, mais aussi de diffuser des films. Il rappelle que les chaînes de télé font partie du paysage audiovisuel et cinématographique du Sénégal. «Mais nos chaînes de télé ne coproduisent pas, ne diffusent pas. Il faut le dire, tant qu’il n’y a pas mort d’un auteur, on ne met pas son film. Les chaînes de télé sont des observatrices au Sénégal… Les films longs métrages, tu cours après les chaînes de télé. Et ce n’est pas normal», a regretté le producteur sénégalais. Sans critiquer tout ce qui se fait actuellement, Souleymane Kébé a tenu à rappeler les quelques défis que pose la production en Afrique. Il a souligné l’importance pour un producteur, d’apprendre et de rester humble. «Il y a un problème de scénariste en Afrique, un problème de formation. Par exemple, quand je dois choisir un scénariste, j’ai des problèmes. J’ai très peu de choix. Et souvent, je fais appel à des scénaristes qui ne sont pas des Sénégalais ou bien Sénégalais mais d’origine. Donc, il faut que les gens qui ne savent pas écrire, acceptent d’aller apprendre. J’adore faire de l’art pour l’art, mais des fois aussi, il faut faire du cinéma pour tout le monde», a déclaré Souleymane Kébé. Coordonnateur du Festival international du film documentaire de Saint-Louis, il s’exprimait mercredi dernier, lors de la première rencontre du Waxtaan si Cinéma, organisée par l’Association sénégalaise des critiques cinématographique (Ascc) au Penc 1.9 sur l’île de Ngor. «C’est important d’avoir du bagage et de savoir de quoi l’on parle. Et quand je dis formation, je ne crois pas forcément qu’il faut aller à l’école. J’adore former, mais j’apprends beaucoup. Donc, ce que je dis aux jeunes, c’est d’être patient. Je peux dire maintenant que je suis un producteur parce que je sais produire.» Evidemment, Souleymane Kébé sait de quoi il parle.

Un cahier des charges pour obliger les télés à produire et financer
A l’en croire d’ailleurs, les chaînes de télé sénégalaises ne se fatiguent même pas à aller vers les films parce que, dit-il, dans un premier temps, «elles ne veulent pas produire des films car ce ne sont pas des producteurs». Cependant, il a estimé que dans un pays bien constitué, les chaînes de télé produisent et coproduisent des films. Et pour y parvenir au Sénégal, il propose de déterminer un cahier des charges pour toutes les chaînes, en les obligeant à produire mais aussi à financer. «Quand ça va être appliqué, les chaînes de télé vont devoir coproduire des films. Et pour coproduire des films, ils vont trouver des mécanismes de financement», a-t-il affirmé. Avant de préciser : «Moi par exemple, je peux m’engager avec une chaîne de télé pour lui dire, chaque mois, je te donne un projet. Si cette chaîne-là s’engage avec moi, je peux le faire, et les autres producteurs aussi peuvent le faire.» A cet effet, a-t-il souligné, un film doit être vu, et un producteur, avant de faire un film, doit penser à la distribution. Sur ce, il a même proposé aux chaînes de télévision de diffuser, par exemple, un film par semaine, et c’est sûr que, dit-il, «les sponsors vont venir parce qu’ils savent que les gens vont regarder le film. Ils vont vous donner de l’argent et vous acheter le droit avec. Si une chaîne commence ça avec des horaires bien définis, les autres vont suivre». Mais il ne s’arrête pas là car il a invité également les producteurs à faire des films commerciaux. «Pour moi, les films d’auteur ne suffisent pas. Il n’y a que les gens vaccinés qui vont y aller», souligne-t-il, estimant également qu’il y a un intérêt financier pour les films commerciaux.

Nationalité d’un film…
Sur la question de la nationalité des films, Souleymane Kébé précise que la paternité d’un film est déterminée en fonction du producteur. Un film est sénégalais si le producteur est sénégalais. Il explique : «C’est la boîte de production qui produit le film et qui détient les droits, c’est ce pays qui est le pays d’origine du film. Si le producteur qui prend les droits est français, le film est français. Après, ça ne changera en rien la nationalité du réalisateur ou de la réalisatrice.» Mais, dit-il, le Sénégal a réussi par exemple à ratifier la «Convention de coproduction» avec la France, et cette convention garantit cette copaternité. Cependant, il a rappelé que le film Banel et Adama, diffusé à Cannes sous la bannière sénégalaise, peut se targuer d’être sénégalais ou français. «C’était juste un choix», dit-il. Il révèle aussi que pendant la proclamation à Cannes, «ils ont dit la réalisatrice sénégalaise Ramata-Toulaye parce que le film a été déposé sous la bannière sénégalaise, mais tout le monde sait que c’est une coproduction».
L’autre considération importante à ses yeux, c’est la stratégie de participation à une compétition. «Quand tu as un film africain, tu «compétis» avec les Africains. Quand tu as un film français, tu «compétis» avec les films français et européens», explique Souleymane. Sur le financement, il dégage deux modèles dont une coproduction internationale pour faire des films avec des budgets assez conséquents, sur un montage financier souvent entre l’Afrique et l’Europe, ou bien, dit-il, un montage financier 100% africain via des coproductions entre pays africains, des subventions étatiques comme le Fopica et les sponsors. «Dans le film Sira, j’ai une part de 40%, la France a 30% et le Burkina Faso aussi 30%. Donc, je suis majoritaire parce que j’ai réussi à avoir le Fopica et Canal Plus. Mais, les apports, ce n’est pas que de l’argent. Il y a aussi des apports en industrie», fait-il savoir. Pour certains films, Souleymane Kébé parle de coproduction par nécessité. Mais aujourd’hui, dit-il, les choses et le discours ont changé. «Maintenant, les producteurs étrangers ne viennent plus en terrain conquis. Je viens et leur dis il manque ceci, et ils vont aller le chercher», a-t-il raconté avec fierté.