Il y a des films qui ont fait salle comble aux Jcc (Journées cinématographiques de Carthage), pas seulement parce que leur réputation les avait précédés dans les rangs des cinéphiles à Carthage, mais simplement parce qu’ils sont des œuvres de haute facture qui honorent le cinéma arabo-africain. Parmi ces pépites de cinéma, il y avait bien sûr Félicité de Alain Gomis, mais surtout Sheikh Jackson et En attendant les hirondelles.

La réputation du dernier long métrage de Alain Gomis est un secret de polichinelle. A Carthage, la projection a fait salle comble comme ce fut le cas dans de nombreux festivals à travers le monde. Le réalisateur n’a pu malheureusement prendre part à la grande projection au mythique cinéma Le Colisée. Son vol ayant accusé du retard. N’empêche, le film de Alain Gomis faisait bien partie du cru qui pouvait remporter le Tanit d’or. Mais il y avait d’autres œuvres aussi impressionnantes sinon plus que Félicité. C’est le cas du film Le train du sucre et du sel du Mozambicain Luciano Azevedo qui a pu remporter la plus grande distinction, mais aussi, on aurait pu avoir en lieu et place «Sheikh Jackson» de l’Egyptien Amr Salama ou encore En attendant les Hirondelles de l’Algérien Karim Moussaoui. En réalité, tous ces opus du cinéma arabo-africain sont tanitables pour plusieurs raisons.
Focalisons-nous d’abord sur le film Sheikh Jackson qui met en scène la crise de la foi d’un salafiste, fan de Michael Jackson. Ce film a conquis tous les cinéphiles à Tunis. Pas une seule langue n’a pu dire : «Je n’ai pas aimé.» Ce film a fait l’unanimité des cinéphiles. Et pour cause, le sujet a été non seulement bien traité par le réalisateur, mais l’histoire est plutôt singulière et accroche. En réalité, à l’annonce du décès de la méga-star planétaire, Michael Jackson, un prédicateur égyptien ultra conservateur, qui l’adulait lorsqu’il était adolescent, est tellement bouleversé par la triste nouvelle qu’il perd le contrôle de sa voiture. Et peut-être même la raison ! C’est donc par un accident de voiture que débute l’histoire de Sheikh Hani (le personnage principal du film). La disparition de Michael Jackson a donc été le point de départ du cheminement chaotique de ce Sheikh qui découvre peu à peu sa propre identité et se rend compte qu’il est un être déchiré entre les traditions islamiques et la culture occidentale à l’ère des Ntic.
Il est vrai, lorsqu’on apprend que ce cinéaste égyptien lorsqu’il était adolescent (il a aujourd’hui 35 ans) a été lui-même un fan de Michael Jackson avant de succomber à l’appel du salafisme pendant qu’il était à l’université, on comprend très vite que son film est en réalité une autobiographie. Mais Amr Salama a tout de même le mérite d’avoir braqué sa caméra sur un mouvement dont les membres sont connus pour «leur interprétation littérale et rigoriste des textes fondateurs de l’islam, ainsi que pour le rejet systématique de la musique et de tout autre divertissement culturel ou récréatif, jugés décadents». En plus, son film, pour dire vrai, va au-delà du regard que l’on porte sur le salafisme. Le réalisateur de Sheikh Jackson a voulu, avec son long métrage, contrer l’extrémisme et pousser les gens à vivre une vie modérée et non sauter d’un extrême à un autre. Il montre en clair que «l’identité de l’être humain est muable». Cette comédie dramatique, qui va concourir le 4 mars 2018 aux Oscar dans la catégorie du «Meilleur film étranger», a toutes ses chances. C’est une œuvre qui permet à chaque cinéphile de se réconcilier avec son passé. On ressort de salle douché par une belle leçon cinématographique, mais également une belle leçon de vie.

L’autre leçon de cinéma
C’est le cas, sinon presque, avec le film En Attendant les hirondelles. Cette autre leçon de cinéma a fait tilt à Carthage. Cet opus du réalisateur algérien Karim Moussaoui a remporté le «Prix du meilleur montage» aux 28es Journées cinématographiques de Carthage (Jcc). Il s’agit d’une belle fiction qui traite de l’Algérie d’aujourd’hui, entre «traditions et modernité» à travers les histoires de trois personnages. Mourad, un promoteur immobilier, divorcé, sent que tout lui échappe. Aïcha, une jeune fille, est tiraillée entre son désir pour Djalil et un autre destin promis. Dahman, un neurologue, est soudainement rattrapé par son passé, à la veille de son mariage. Dans les remous de ces vies bousculées qui mettent chacun face à des choix décisifs, passé et présent se télescopent pour raconter l’Algérie contemporaine.
Selon la critique, ce cinéaste a réussi à transmettre au public «cette atmosphère d’abattement et de désespoir qui règne sur l’Algérie et son Peuple. Il a choisi de peindre le pays non pas dans sa globalité mais en s’intéressant aux individus et à leurs petites histoires qui restent très liées à la grande histoire, celle d’une Algérie qui attend le printemps, d’où le titre du film». En somme c’est une situation réelle que Karim Moussaoui arrive à filmer de manière très poétique et politique à la fois.