Présenté jeudi 6 mars 2025 au Canal Olympia Dakar, «Disco Afrika : une histoire malgache» est le cri d’une jeunesse à la dérive. Son réalisateur, Luck Razanajaona, y interroge l’héritage de l’indépendance et les désillusions d’un pays où la pauvreté et la corruption étouffent l’avenir. Par Ousmane SOW –

 Madagascar, aujourd’hui. Kwame, 20 ans, survit dans une mine clandestine de saphir. Un événement imprévu le con­traint à rentrer dans sa ville natale, où il retrouve sa mère et ses amis, mais aussi l’impitoyable réalité d’un pays rongé par l’injustice. Ballotté par des sentiments contraires, il va devoir choisir entre argent facile et fraternité, individualisme et éveil à une conscience politique. Synopsis. Projeté à Canal Olympia Dakar, en présence de son jeune réalisateur, Luck Razanajaona, Disco Afrika est un cri du cœur. Un film qui refuse la fatalité et qui exhorte la jeunesse à ne pas abandonner son pays. Car si le disco a marqué une époque de liberté et de révolution culturelle, Luck Razanajaona veut croire qu’il peut encore inspirer un sursaut politique. Formé à l’Ecole supérieure des arts visuels de Marrakech (Esav), Luck Razanajaona n’a pas toujours été cinéaste. «Avant de faire l’Ecole de cinéma, j’étais dans le social», a-t-il expliqué après la projection. Alors, confronté aux réalités du terrain, il a vu des générations entières sacrifiées. «Ce qui m’a le plus marqué, c’est qu’on a beaucoup de jeunes qui sont mis de côté, qui n’ont pas accès à l’éducation. Je me suis demandé si, dans un moment de crise politique, ces jeunes abandonnés ne finiraient pas par devenir des machines pour les politiciens.» Une question brûlante qui irrigue tout le film, qui s’ouvre d’ailleurs sur une annonce radio : deux personnes ont été assassinées dans une mine clandestine de saphir à Madagascar. A travers ce film, qui dure 1h 20, le cinéaste nous ramène aux années 70, cette époque où l’Afrique croyait encore en ses idéaux postcoloniaux. «Après les luttes pour l’indépendance, la plupart des pays africains espéraient transformer en profondeur leurs sociétés et offrir prospérité et justice à leurs populations. Près de soixante ans plus tard, le constat est cruel. Madagascar, mon île, est un bout de cette Afrique», dit-il, soulignant qu’à Madagascar, l’utopie a laissé place à un système gangrené par les inégalités et la corruption. «Malgré les nombreuses ressources de mon pays, la majeure partie de la population vit dans une très grande pauvreté. Les idéaux de la lutte anticoloniale semblent aujourd’hui avoir disparu et le désir d’un changement profond apparaît presque comme un mirage, une chimère. Je crois que c’est autour de cette question que j’ai écrit le scénario de Disco Afrika», fait-il savoir.

Un regard politique assumé
Ce premier long métrage de fiction, récemment en compétition «Perspective» à la 29e édition du Fespaco, n’est pas qu’un drame social, c’est aussi une fresque politique et historique à la fois. Car à Madagascar, pas de guerre civile, mais une misère organisée. «On est un pays qui n’a jamais connu de guerre, mais on est très pauvres. La situation est très difficile. Il est peut-être temps de parler de politique, de miser sur un nouvel avenir pour Madagascar», a-t-il laissé entendre. Et d’après lui, si son film porte un message, c’est celui de la révolte par la jeunesse. «Ça s’est passé au Mali, ça s’est passé au Burkina, ça s’est passé au Sénégal, ça pourrait se passer à Madagascar», lance-t-il. Mais il interpelle aussi les dirigeants africains. «Un dirigeant qui aime son pays doit faire le maximum pour garantir le minimum à son Peuple et prendre en compte l’aspiration de la jeunesse», conseille Luck Raza­najaona. Plus qu’une dénonciation, Disco Afrika est un ancrage identitaire. «Tout au long de l’écriture de ce film, il a été très important pour moi de raconter une histoire réellement malgache, imprégnée de l’histoire de mes ancêtres et de mes racines africaines», dit-il.

Evidemment, une façon de redonner fierté et voix à un pays souvent ignoré du grand écran. Et cette identité se reflète aussi dans la musique avec une belle séquence de fin : le titre «Mouhamadou Bamba» de Thione Seck. «Je remercie le fils de Thione Seck qui m’a donné l’autorisation d’utiliser cette chanson Mouhamadou Bamba. Je voulais vraiment que ça ferme le film, tout simplement parce que le combat dont le chanteur Thione Seck parle avec Bamba, c’est exactement le combat que je prône : la non-violence. Il faut prendre soin de sa communauté et surtout, se dresser contre l’injustice. Avant, c’était la colonisation, maintenant, c’est le gouvernement voyou. Donc, il faut toujours rester debout avec dignité. Je voulais aussi rendre hommage aux artistes africains qui ont marqué leur temps. Donc, rendre hommage à l’Orchestra Baobab», a expliqué le réalisateur malgache Luck Razanajaona.
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