Après un démarrage exceptionnel en compétition officielle à Cannes, «Banel et Adama», le premier long métrage de Ramata-Toulaye Sy, débarque enfin au Sénégal. Avant la sortie en salle le 6 octobre prochain, une avant-première a eu lieu hier à Dakar, avant la projection à Donaye (Podor), là où le film a été tourné. Par Mame Woury THIOUBOU –

Dans une société pulaar hyper conservatrice, vouloir être libre de ses choix et vivre pleinement son amour peut avoir des conséquences. Alors, quand Adama, l’époux de Banel, renonce à son héritage familial et refuse de prendre la succession de son père à la tête du village, les conséquences ne tardent pas. La sècheresse s’abat sur le village, les pluies se font rares, les bêtes meurent, et bientôt ce sont les humains qui les suivront. Après avoir réussi une première mondiale en sélection officielle du Festival de Cannes, Banel et Adama arrive au Sénégal. L’avant-première, hier soir, sera suivie, aujourd’hui et demain, de projections à Saint-Louis et à Donaye, dans le village-même où le premier long métrage de Ramata-Toulaye Sy a été tourné. Avant ces rendez-vous précieux, la réalisatrice et son équipe ont fait face à la presse hier, à la suite d’une projection de presse. «Je ne voulais pas faire un film social, je voulais proposer une autre vision, une autre histoire sur l’Afrique», précise d’emblée la réalisatrice. En effet, Banel et Adama n’est pas un film ordinaire. L’histoire de Banel et Adama sert de point de départ à ce qui ressemble à un film d’amour. Mais ce n’en est pas un. C’est plutôt un film sur la liberté. Celle que revendique Banel. Mariée à un homme qu’elle n’aime pas, elle retrouvera son véritable amour, Adama, le frère de son mari. Banel éprouve un amour obsessionnel pour son mari. Elle ne souhaite qu’une chose, vivre avec lui, seuls et loin des codes de conduite imposées aux femmes du village. Aller aux champs, laver les habits de sa belle-mère, trop peu pour Banel. Tout ce qu’elle souhaite, c’est rester aux côtés de son mari. Un amour tellement obsessionnel qu’il suggère de terribles choses pour son accomplissement. «Elle est méchante et c’est assumé», explique la réalisatrice. Ramata ne voulait pas faire un film comme les autres. Elle voulait une tragédie. «Je voulais en faire un personnage complexe. On a l’habitude quand on présente des femmes africaines au cinéma, de les voir fragiles, très vulnérables et qui ont besoin d’être sauvées par un homme. Mais là, je voulais un grand rôle de femme de tragédie comme on n’en voit pas assez, aller contre les clichés sur la femme africaine. Mais après, c’est une fiction, un personnage inventé, et les personnages ne sont pas faits pour qu’on les aime», indique Ramata-Toulaye Sy. Une complexité qui donne beaucoup de présence à ce personnage féminin constamment dans la transgression. Banel ne veut pas enfanter dans une société où toute transmission est inscrite dans une continuité familiale.

Après Dakar, le film prendra le chemin de Donaye et va se confronter au milieu qui l’a inspiré. Une confrontation que la réalisatrice, née en France, n’appréhende pas trop. «Tout le monde me demande si j’ai peur ou si j’appréhende de le présenter au Fouta. Bizarrement, je ne l’appréhende pas. Et tous ces débats de femmes qui ne veulent pas d’enfants, ne veulent pas vivre en société, ça arrive tous les jours, même au Fouta, et ce sont des débats importants. Je n’incite pas les femmes à être des Banel, je sais qu’il y a des gens qui ne vont pas apprécier ce personnage, mais ce qu’ils peuvent apprécier, c’est que j’ai essayé d’être cohérente et réaliste sur l’environnement peul.» L’histoire de Banel et Adama est une histoire que la réalisatrice a voulue universelle. Et qu’elle juge surtout optimiste. «Pour moi, c’est un film optimiste. J’ai 37 ans et j’ai l’impression qu’on est une génération sacrifiée et que tout le travail qu’on fait aujourd’hui, ce n’est pas pour nous, mais pour les générations d’après, et c’est en cela que ce n’est pas pessimiste. C’est optimiste j’espère, pour une prochaine génération», souligne Ramata-Toulaye Sy.

Khady Mane et Mamadou Diallo : Premiers pas gagnants

Elève à Podor, Khady Mane n’avait jamais pensé être actrice. Persuadée que sa timidité serait un frein à une telle entreprise, elle refuse d’abord de passer le casting que lui propose la réalisatrice de Banel et Adama. Mais quelques essais plus tard, elle est retenue et commence alors le difficile apprentissage du métier de comédienne. Il faut s’adapter à ce nouveau monde, mais Khady est timide. «Elle a peur du noir et dort même avec la lumière à son âge», raconte, avec un gros sourire, Ramata-Toulaye Sy. Mais qu’à cela ne tienne, tout s’apprend, et la jeune actrice est très bien prise en main par la réalisatrice et son équipe. Visionnage de films, Camille Claudel par exemple, répétition pendant plusieurs semaines, et le métier rentre petit à petit. «C’était assez difficile. Khady est très timide et parle très peu. C’est le contraire de Banel, mais elle a fait un travail exceptionnel», raconte Ramata-Toulaye Sy. «Le plus difficile, c’était d’être devant les gens. Je suis timide et dès que les caméras s’allumaient, je paniquais», raconte à son tour Khady Mane, qui interprète magistralement Banel.

Mamadou Diallo, qui interprète Adama, a passé son casting à Ndioum. Presque sans trop y croire. Parce que dans le coin, les castings n’ont pas souvent abouti à quelque chose et surtout, l’on se méfie des caméras. Mais l’aventure prendra quand même l’allure d’un choix gagnant. «Je n’avais jamais pensé être acteur. J’avais une moto Jakarta, je l’ai vendue et je me suis retrouvé à faire de petits boulots. Ce rôle m’a permis de faire mes preuves dans le cinéma, d’aller à Cannes. Je compte bien persévérer et acquérir plus de connaissances dans le domaine pour faire carrière», souligne Mamadou Diallo, qui attend maintenant des propositions pour de nouveaux projets. Après les premiers moments de flottements, les deux acteurs ont vite fait de trouver leurs marques et de s’adapter à ce nouveau monde. Sept semaines de tournage, un passage à Cannes plus tard, les voilà prêts à conquérir le monde du 7e art.

Souleymane Kébé, producteur : «L’objectif, c’est que les Sénégalais puissent accéder aux films sénégalais»

Banel et Adama est bien parti pour représenter le Sénégal aux Oscars. En tout cas, les producteurs attendent la bonne nouvelle. Souleymane Kébé, le producteur sénégalais du film, l’a annoncé hier en marge de la présentation à la presse du film. Banel et Adama est un bel exemple de coproduction Nord-Sud. Dans le modèle de financement, le Sénégal, par le biais du Fonds de promotion de l’industrie culturelle (Fopica), a contribué à hauteur de plus de 75 millions de francs Cfa, en plus de l’appui logistique. Souleymane Kébé s’en réjouit. «Il n’y avait que quatre techniciens français sur le tournage, et c’est une réelle fierté de se dire qu’on a fait le film avec des équipes sénégalaises en majorité.» Cette coproduction entre la France, le Sénégal et le Mali à travers Ds Production, a permis de mettre en place un modèle de collaboration efficace. «Tout s’est passé au moment du court métrage (Ndlr : Astel de Ramata Toulaye Sy). C’est le moment où l’intégration du Sénégal dans le film a été complète, parce qu’il fallait une équipe sénégalaise», indique la productrice française Maude Leclair-Névé. Mais le tournage n’a pas été de tout repos. Et selon le producteur sénégalais, il a fallu apprivoiser les conditions climatiques extrêmes du Fouta. «En dehors de la langue pulaar, il y avait des défis à relever, notamment météorologiques. Il fallait tourner la sècheresse et parfois il y avait la pluie et les vents. Le matériel aussi chauffait et on a dû faire face.»

Après l’avant-première hier soir et les projections à Saint-Louis et au Fouta aujourd’hui et demain, le film sortira en salle le 6 octobre prochain. Et selon M. Kébé, en collaboration avec Mobicine, le film va être vu sur tout le territoire sénégalais et sortira également en salle dans 18 pays du continent. «Notre objectif, c‘est que le film soit vu au Sénégal. Quand j’étais jeune et que je voulais regarder les films sénégalais, je n’y avais pas accès, mais aujourd’hui, l’objectif, c’est que les Sénégalais puissent accéder aux films sénégalais quand ils le veulent», assure Souleymane Kébé.
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