Par la volonté d’une femme au cœur d’or, le cinéma Empire de la Médina est devenu un royaume des enfants abandonnés dans la rue. A sa suite, le lieu revit petit à petit et retrouve sa vocation première. Redevenu cinéma, salle de spectacle, Empire écrit son nouveau destin sous la dictée de Bruno Ven­tura, président de l’As­sociation Afrika­bok.

Au départ, c’était un cinéma. Un de ces cinémas de plein air qui faisaient le bonheur des puristes des quartiers populaires. Ensuite, par la grâce d’une dame au cœur d’or, le lieu servit de refuge pour de jeunes enfants que la vie n’a pas ménagé. Aujourd’hui, le cinéma Empire de l’avenue Malick Sy a renoué avec sa vocation première, celle de servir de lieu de spectacle et d’espace culturel pour le 7e art. Nous sommes mercredi soir. A quelques minutes de 20h, la fraîcheur de l’air a fini de chasser les habitants de la rue. Seuls quelques rares passants se hâtent sur cette grande avenue. Devant l’entrée du cinéma Empire, quelques personnes discutent. Ce soir, c’est le Raw material company qui organise une projection de film dans le cadre de sa session sur le cinéma. Dans la cour, quelques fauteuils sont déjà occupés. A l’entrée, une table chargée de bonnes choses et de boissons locales. Depuis quelques mois que l’Association Afrikabok s’est réappropriée l’espace, le cinéma renaît petit à petit dans ce lieu situé en plein cœur de la Médina. Il y a quelques années seulement, le lieu était abandonné. Bruno Ventura, président de l’Association Afrikabok qui a pris possession des lieux, raconte qu’à la place du vieux cinéma Empire, il y avait plus d’un dépotoir d’ordures et des carcasses de voiture. «C’était un ancien cinéma, mais qui était devenu une décharge publique. Il y avait que des carcasses de voiture et pas de devanture». M. Ventura se rappelle encore les travaux qui ont été effectués par la fondatrice de l’Empire des enfants, Anta Mbow, pour donner un lieu de vie aux enfants de la rue. «A l’époque, on avait tout refait pour Anta Mbow. Et quand elle est partie, elle avait déjà aménagé des trucs et tout. Mais on a tout recassé et on l’a aménagé comme on a supposé qu’il était à l’époque.» Seulement, en l’absence d’archives, le cinéma a été aménagé selon l’idée que l’on s’en faisait. «Anta Mbow a déménagé il y a deux ans quand elle a eu un gros financement pour construire une maison vraiment adaptée aux enfants des rues. Et en mai 2018, on a décidé de rouvrir le cinéma en salle de spectacle. Et donc, on a fait des travaux, on a essayé de le remettre comme il devait être à l’époque», souligne Bruno. Au total, Afrikabok a mis en place un investissement de 25 mille euros, à peu près 15 millions de francs Cfa. «Rien que le vidéoprojecteur coûte 7 millions. On a réaménagé, cassé des murs, refait la peinture et les carreaux». Pour rendre le projet plus viable, Bruno Ventura a aussi aménagé quelques chambres à l’étage qui sont louées.

Une vie de baroudeur
La tête rasée, Bruno Ventura a tout du baroudeur. Présent au Sénégal depuis 23 ans, il connaît le pays sur le bout des doigts. C’est cette notoriété qui lui a permis d’ailleurs d’attirer ses premiers clients. «Je n’ai pas fait de marketing ni rien. Mais quand j’ai commencé, du fait que ça fait 23 ans que je suis au Sénégal et que je fais des projections itinérantes depuis 2001, j’ai contacté mes amis pour leur dire que je démarrais ce cinéma.» Après quelques mois de fonctionnement, les choses commencent à se mettre en place. «Ça commence à marcher. On ne peut pas dire qu’on fait de l’argent, mais on commence à être très connu. On a de plus en plus de propositions pour faire des spectacles ou de l’évènementiel. Je fais pas mal de communication et quand les gens viennent, ils trouvent que c’est magique le soir», dit-il. Outre les évènements du Raw material, le cinéma Empire accueille également les spectacles de l’ambassade d’Italie dont une représentation il y a quelques mois, du grand classique de la littérature grec Antigone. Le lieu a également vibré au rythme des Ateliers de la pensée, en accueillant le Pr Felwine Sarr et ses amis. Le seul mot d’ordre étant la gratuité des spectacles. «Tous les spectacles sont gratuits. C’est un choix et c’est pour les gens de la Médina aussi. Maintenant, si des privés veulent faire payer, c’est leur problème. Mais dans notre politique à nous, tout est gratuit.» Après une année d’existence, les ambitions de Bruno pour ce lieu sont d’en faire un carrefour culturel incontournable. Et l’objectif est en passe d’être atteint puisque de plus en plus d’acteurs culturels choisissent ce lieu à la fois accessible et bien situé. Ainsi, le Festival du film de femmes a choisi de poser ses valises en ce lieu pour y dérouler le plus gros des projections durant sa dernière édition du 21 au 29 février 2020. A fond dans la tâche qu’il s’est donné de faire tourner ce business, Bruno sait déjà qu’avoir deux ou trois évènements par semaine suffiraient à faire fonctionner correctement le projet. Mais l’appétit venant en mangeant, nul doute qu’il ne se contentera pas de cet objectif.