Depuis son investiture, le Président Bassirou Diomaye Faye a fait du dialogue une constante dans sa gouvernance. Après les Assises de la Justice en juin 2024, puis la rencontre tripartite de février 2025 entre gouvernement, syndicats et patronat, voici qu’il annonce une nouvelle Journée du dialogue national, cette fois axée sur le système politique.

Mais dans un contexte où les conclusions précédentes restent sans suite concrète, la pertinence -et l’urgence- de cette énième concertation interpelle.
1. Des dialogues qui s’enchaînent, des conclusions qui stagnent
Les Assises de la Justice, tenues en juin 2024, avaient mobilisé un large éventail d’acteurs et débouché sur des recommandations claires en faveur d’une réforme en profondeur du système judiciaire. Pourtant, près d’un an plus tard, ces propositions restent lettre morte. Aucun début d’exécution tangible n’est visible.

La rencontre tripartite de février 2025, réunissant gouvernement, syndicats et patronat, avait mis sur la table des doléances sociales urgentes : revalorisation des salaires, amélioration des conditions de travail dans les secteurs de l’éducation, de la santé, de la Justice, et allègement des charges pour les entreprises. Là encore, aucun signal fort ne laisse entrevoir une volonté politique affirmée d’appliquer ces engagements.

Dès lors, à quoi bon multiplier les cadres de concertation si leurs conclusions sont systématiquement rangées dans les tiroirs de l’Administration ?

2. Un climat apaisé, sans urgence de pacification
Contrairement à ce que le Sénégal a pu connaître sous d’autres régimes, l’actuel pouvoir ne fait face ni à une opposition radicale ni à une Société civile insurrectionnelle. L’opposition, bien que vigilante, reste dans une posture républicaine et mène ses combats dans les limites du débat démocratique.
La Société civile, malgré l’interdiction de plus de 30 manifestations -qu’elles soient d’ordre politique ou citoyen-, n’a pas basculé dans la confrontation. Les guides religieux, autrefois très présents dans les arbitrages politiques, observent désormais une certaine réserve. Quant aux populations, bien qu’éprouvées par une conjoncture économique difficile, elles font preuve de patience.

Il n’y a donc pas de menace sociale ou politique immédiate qui justifierait l’organisation précipitée d’un nouveau dialogue national. Ce qui amène à s’interroger : le dialogue est-il un levier sincère de gouvernance ou un outil pour temporiser ?
3. Une gouvernance qui risque de se diluer dans l’attente
Le Président et son gouvernement disposent d’un mandat clair de cinq ans. Mais si chaque année est accaparée par l’annonce d’un dialogue, la rédaction de termes de référence, l’organisation de panels et d’ateliers, le risque est grand de voir le temps s’écouler sans réalisations concrètes.
Or, le Sénégal fait face à des urgences pressantes : crise économique, inflation galopante, chômage massif des jeunes, précarité dans les hôpitaux et les écoles. Ces défis ne se règlent pas uniquement autour d’une table de concertation, mais par des décisions courageuses, des réformes structurelles et une mise en œuvre rigoureuse des politiques publiques.

4. Un besoin d’efficacité plutôt que de concertation permanente
Le dialogue est une vertu démocratique. Mais encore faut-il qu’il produise des résultats concrets. Sinon, il devient un rituel politique creux, un cache-misère pour l’inaction gouvernementale.

Il est donc urgent que le pouvoir rompe avec cette logique de concertation sans lendemain, et commence à appliquer ce qui a déjà été validé. Car c’est dans l’action que les Sénégalais jugeront ce régime -pas dans la longueur des discours, ni dans la beauté des promesses inclusives.
5. Recentrer les priorités : agir, et vite
L’urgence actuelle ne réside pas dans un nouveau dialogue politique, mais dans la réponse concrète aux attentes sociales, économiques et institutionnelles. Les Sénégalais réclament :
• une baisse effective du coût de la vie,
• un accès équitable aux soins de santé et à l’éducation,
• une lutte réelle contre le chômage et la précarité,
• des réformes administratives efficaces,
• et la fin de l’impunité.
Mais au-delà de ces priorités sociales, il y a un impératif fondamental : la préservation de l’Etat de Droit. Ceux qui dirigent aujourd’hui se sont battus pour défendre les libertés, dénoncer les dérives autoritaires et restaurer la démocratie.

Or, les récentes arrestations de journalistes, les convocations judiciaires à répétition, les pressions sur la presse et les restrictions des libertés individuelles rappellent des pratiques que ce régime s’était engagé à bannir. Ce glissement, aussi subtil soit-il, est inacceptable. Il doit cesser.

La démocratie ne peut pas être un simple slogan de campagne. Elle doit rester une ligne de conduite constante.

6. Un débat politique à recentrer sur l’essentiel
Le Premier ministre Ousmane Sonko a récemment effectué son deuxième passage devant l’Assemblée nationale. Comme lors de sa première intervention, cette séance a été marquée par des polémiques et des échanges tendus, éclipsant les véritables enjeux de fond.

Alors que ce rendez-vous aurait pu être l’occasion de clarifier la stratégie gouvernementale face aux défis du moment, le débat s’est encore enlisé dans des querelles politiques, des confrontations oratoires et des effets de manche.
Il devient impératif de recentrer le débat politique sur l’essentiel : les attentes concrètes des Sénégalais, loin des discours symboliques, des dérives verbales et des diversions politiciennes.

Conclusion : Le temps du diagnostic est passé. Place à l’action.
Le Peuple sénégalais a placé sa confiance dans un nouveau régime avec l’espoir d’un véritable changement. Ce changement ne se matérialisera pas par une succession de dialogues, mais par des actes forts, lisibles et concrets.
Dialoguer, oui. Gouverner, surtout. Et préserver les libertés, impérativement.
Ramatoulaye SECK 
Journaliste 
seck61900@gmail.com