Cinquantenaire de la Cedeao, quel rôle pour le Sénégal ?

En septembre 2021, des jeunes du Mali, du Burkina, du Benin, du Togo, de la Côte d’Ivoire, du Nigeria et du Sénégal se sont retrouvés à Abuja pour une immersion dans les instances de la Cedeao. J’ai eu le double privilège de faire partie du groupe et de prononcer un discours en son nom au Parlement de la Cedeao. Panafricaine convaincue et ayant toujours cru aux démarches collectives, je ressens toujours une grande fierté d’appartenir à cette grande communauté d’espoir, de générosité et de co-construction. La Cedeao est l’une des communautés économiques régionales les plus avancées en Afrique, avec des avancées majeures comme la libre circulation, le tarif extérieur commun, etc.
Les membres de cette dynamique que nous avions dénommée «Get to know Ecowas», constatent à regret que cette journée du cinquantenaire de la Cedeao est passée timidement au Sénégal, comme partout ailleurs dans la sous-région.
Il a été attendu, au regard de la portée symbolique de l’événement, que les chefs d’Etat et de gouvernement magnifient ce bel outil d’intégration et renforcent leur ancrage dans la communauté qui fait face à une défiance, surtout avec la séparation d’avec les trois pays de l’Aes.
Il y a des dates qui obligent, des événements qui imposent, des rendez-vous qui installent ; et cette commémoration aurait dû être mieux valorisée. Le rôle d’un chef d’Etat ou de gouvernement est de souligner la portée de la communauté ouest-africaine quand une occasion pareille se présente. L’on était en droit d’attendre que nos leaders nous exposent les réussites de l’organisation, de tirer les leçons sur les succès et de méditer sur les défis actuels, notamment la séparation d’avec les pays de l’Aes.
Quid du Sénégal ?
Le Premier ministre du Sénégal a eu l’occasion de rappeler fermement la position du Sénégal, et une tribune lui était offerte depuis le Burkina pour non seulement réaffirmer l’ancrage sans concession du Sénégal au sein de la Cedeao, mais aussi insister sur la nécessaire médiation avec les pays de l’Aes. Au contraire, il a préféré se lancer dans une diatribe interminable à l’égard de l’organisation, et le plus regrettable est que ses critiques ne portaient que sur des griefs personnels, sans grande importance pour les vrais défis de la sous-région. Rien sur l’urgence de venir collectivement à bout du terrorisme. Rien sur l’uniformisation de la monnaie dans l’espace, rien sur le nécessaire retour des pays de l’Aes au sein de la communauté, avec en perspective la transmission pacifique du pouvoir aux civils. Pis, il a minimisé cette amputation en soutenant qu’il n’y aurait pas d’impacts importants sur la séparation entre la Cedeao et les pays de l’Aes.
Les arguments avancés par les pays de l’Aes pour justifier leur départ de la Cedeao, après que cette dernière a entrepris des mesures punitives contre les putschistes nigériens suite à la confiscation du pouvoir des mains du Président Bazoum légitimement élu, ne tiennent guère. A cela s’ajoutait le fait que, selon eux, les gouvernements civils avaient échoué à endiguer la récurrence des attaques ; celles-ci se multiplient depuis, alors que les militaires sont au pouvoir et l’exercent sans partage.
Les trois pays sont régulièrement frappés par des attaques d’une violence inouïe. Les cas récents au Niger -le 25 mai une base de l’Armée a été attaquée à Eknewane, tuant au moins 40 soldats ; cette attaque est précédée par celle de Diffa qui a fait autant de morts dans la population civile ; le régime putschiste au Burkina ne contrôle désormais que 40% du territoire ; et au Mali, la situation n’est guère reluisante. Le 22 mai, une vingtaine de civils ont été retrouvés égorgés et jetés dans une fosse commune à Diafarabé, dans le Centre du Mali. Cette situation est d’autant plus préoccupante quand on connaît les manœuvres des groupes terroristes à étendre leur activité dans des pays comme le Sénégal. Selon le dernier rapport de Timbuktu Institute, le Jnim est dans la logique d’étendre ses bases au Sénégal ; au mois de février dernier, une attaque a été fomentée dans le village malien de Melgué, à 35 km de Bakel. On aura beau le nier, le sous-estimer, le passer sous silence, le fait est établi par la statistique : le terrorisme est à son paroxysme dans les Etats de l’Aes. Les exemples cités ci-haut posent un diagnostic sans appel.
Au regard de ce qui précède, l’attitude des autorités sénégalaises devrait être dans une posture collective, notamment avec la Cedeao. Mais tout dans leur attitude montre qu’ils ont perdu la foi dans l’entreprise commune ; à supposer qu’ils en avaient auparavant.
Plutôt que de donner l’impression que le Sénégal cautionne la confiscation du pouvoir par les juntes militaires en nous montrant indulgents à l’égard de ces dernières, nous devons nous ranger résolument et sans concession du côté de la Cedeao, et surtout en faisant preuve de prudence stratégique dans les déclarations. Le Sénégal avait une grande capacité d’initiative au sein de la communauté (le dénouement de la crise gambienne en 2016 le démontre abondamment). Les promesses du Pm au Burkina me semblent démesurément optimistes, car, seuls, nous avons peu de moyens d’action effective. D’où la nécessité de travailler à l’émergence de positions et d’engagements communs au sein de la communauté, en ayant comme objectif une définition d’un espace de négociation reposant sur le respect mutuel, la souveraineté et la solidarité régionale.
Le Sénégal a toujours eu une vocation de puissance régionale plus ou moins réussie, mais est aujourd’hui sujet à des fièvres d’isolationnisme et d’orgueil nationaliste. Pour revenir au centre du jeu régional, le Sénégal devrait prendre le leadership et encourager, avec l’instance régionale, une révision des mécanismes de sanction afin de les aligner davantage sur des critères de légalité, de légitimité et de proportionnalité. Le mutisme de la Cedeao sur le changement constitutionnel au Togo est frappant. Et cela continue à nourrir la méfiance de certains Etats vis-à-vis de l’institution.
Avec son expérience démocratique, le Sénégal est parmi les pays qui peuvent s’enorgueillir d’une certaine stabilité institutionnelle et politique ; notre pays a le devoir de montrer aux autres qu’être à la tête d’un pays est une responsabilité exceptionnelle fondée sur l’onction du suffrage plutôt que de s’engouffrer encore dans des considérations politiques purement accessoires.
L’élection du Président Faye est la preuve tangible que la démocratie sénégalaise fonctionne malgré les soubresauts qui ont sous-tendu l’organisation de cette élection. Cette grande démonstration de solidité dont elle venait de faire preuve était suffisante pour dire que nous n’avons pas de problème politique. Notre histoire a toujours été la somme des choix faits par les anciens présidents et des actions entreprises par chaque homme et chaque femme dans les instances continentales et internationales.
Penda DIENG
Politiste
pendamamadoudieng@gmail.com