La 20e édition du Classement mondial de la liberté de la presse, établi par Reporters sans frontières (Rsf), révèle une double polarisation, «amplifiée par le chaos informationnel : polarisation des médias entraînant des fractures à l’intérieur des pays et polarisation entre les Etats sur le plan international». Le Sénégal est à la 73ème position, perdant ainsi 24 places par rapport au classement de l’année dernière.Par Malick GAYE
– Le Sénégal est à la 73ème place du Classement mondial de la liberté de la presse 2022. Le pays perd ainsi 24 places par rapport au classement de l’année dernière. La situation est assez explicative du secteur africain où coexistent à la fois la presse foisonnante du Sénégal (73e du Classement) ou d’Afrique du Sud (35e), de la Côte d’ivoire (37e) et le silence assourdissant des médias privés en Erythrée (179e) ou à Djibouti (164e) où tout n’est pas rose dans le journalisme. Reporters sans frontières vient de le documenter. Dans son Classement mondial de la liberté de la presse de 2022 publié ce 3 mai, le Sénégal occupe la 73ème position. Bien qu’étant «foisonnante», la presse sénégalaise cache mal la situation en Afrique où la «liberté de l’information revêt plusieurs visages sur ce continent, où coexistent à la fois la presse foisonnante du Sénégal (73e du classement) ou d’Afrique du Sud (35e) et le silence assourdissant des médias privés en Erythrée (179e) ou à Djibouti (164e)». Malheureusement, «la multiplication de lois répressives criminalisant le journalisme en ligne est venue porter un nouveau coup au droit à l’information. Dans le même temps, la prolifération des rumeurs, de la propagande et de la désinformation a contribué à affaiblir le journalisme et l’accès à une information de qualité».
Une situation qui ne plaide pas pour la pérennisation du modèle africain de la presse. «Souvent peu soutenus d’un point de vue institutionnel et encore largement dépendants des diktats éditoriaux de leurs propriétaires, les médias africains peinent à développer des modèles soutenables et durables. L’émergence récente de coalitions de journalistes d’investigation permet toutefois des révélations importantes concernant des sujets d’intérêt public», souligne le classement de Rsf. L’organisme s’est tout de même réjoui de l’ouverture de pays comme l’Angola.
«Longtemps étouffés sous la dictature, des pays comme l’Angola (99e), le Zimbabwe (137e) ou l’Ethiopie (114e) ont connu une ouverture plus ou moins importante de leur espace médiatique mais, dans la plupart des cas, la répression des voix dissidentes demeure», lit-on dans le classement.
Dans le Sahel, l’insécurité et l’instabilité politique ont «fortement progressé et le journalisme y est, ces derniers temps, attaqué de manière spectaculaire. En 2021, deux journalistes espagnols ont été tués au Burkina Faso (41e), le reporter français Olivier Dubois a été enlevé par un groupe armé au Mali (111e) et plusieurs journalistes ont été expulsés du Bénin (121e), du Mali ou du Burkina Faso».
La liberté de la presse dans le monde
Alors que la situation semble mitigée en Afrique, la 20ème édition du Classement mondial de la liberté de la presse révèle une «double polarisation, amplifiée par le chaos informationnel : polarisation des médias entraînant des fractures à l’intérieur des pays et polarisation entre les Etats sur le plan international». Ainsi détaille le classement, dans les sociétés démocratiques, le développement de médias d’opinion sur le modèle de Fox News et la banalisation des circuits de désinformation, amplifiée par le fonctionnement des réseaux sociaux, provoquent un accroissement des clivages.
Sur le plan international, précise le classement, l’asymétrie entre, d’une part, les sociétés ouvertes et, d’autre part, les régimes despotiques qui contrôlent leurs médias et leurs plateformes tout en menant des guerres de propagande, affaiblit les démocraties. Aux deux niveaux, cette double polarisation est un facteur d’intensification des tensions. «L’invasion de l’Ukraine (106e) par la Russie (155e) à la fin du mois de février 2022 est emblématique du phénomène, puisqu’elle a été préparée par une guerre de la propagande», note le classement. Parmi les régimes autocratiques les plus répressifs, la Chine (175e) «a utilisé son arsenal législatif pour confiner sa population et la couper du reste du monde, et particulièrement celle de Hong Kong (148e), qui dévisse significativement dans le classement. La logique d’affrontement des «blocs» se renforce, comme entre l’Inde (150e) du nationaliste Narendra Modi et le Pakistan (157e)».
Au Moyen-Orient, l’insuffisance de la liberté de la presse continue d’impacter le conflit entre Israël (86e), la Palestine (170e) et les pays arabes, note Rsf.
Dans les pays démocratiques, la polarisation médiatique renforce et entretient les clivages internes aux sociétés, par exemple aux Etats-Unis (42e), malgré l’élection du démocrate Joe Biden, selon Rsf. Le regain des tensions sociales et politiques est accéléré par les réseaux sociaux et de nouveaux médias d’opinion, notamment en France (26e). Dans certaines «démocraties illibérales», la répression de la presse indépendante est un facteur de polarisation intense. En Pologne (66e) par exemple.
Le trio de tête des pays nordiques
Le classement de Rsf reste marqué par les pays de l’Europe du Nord. Norvège, Danemark et Suède restent le modèle démocratique où s’épanouit la liberté d’expression et cette année, grâce à un changement de régime en Moldavie (40e) et de gouvernement en Bulgarie (91e), ces deux pays se distinguent par l’espoir d’une amélioration de la situation des journalistes, même si les médias y sont encore essentiellement détenus ou contrôlés par des oligarques. Un nombre record de pays sont en «situation très grave». Douze pays au total intègrent la liste rouge de notre classement, dont le Bélarus (153e) et la Russie (155e).
Parmi les pays les plus répressifs pour la presse, la Birmanie (176e), où le coup d’Etat de février 2021 a brutalement ramené la situation des journalistes dix ans en arrière, figure désormais aux côtés de la Corée du Nord (180e), de l’Erythrée (179e), de l’Iran (178e), du Turkménistan (177e) et de la Chine.
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