Colloque – Centenaire de Fanon : Quand les féministes sénégalaises réclament leur place


A l’occasion du centenaire de Frantz Fanon, célébré au Musée des civilisations noires à Dakar du 17 au 20 décembre 2025, un panel consacré aux liens entre pensée décoloniale et féminismes africains a suscité de vives réactions. Si l’événement se voulait un hommage intellectuel à l’une des figures majeures de l’anticolonialisme, il a surtout mis en lumière un malaise profond : la marginalisation persistante des féministes dans les espaces de débat censés interroger l’émancipation.
Par Mame Woury THIOUBOU – D’un panel à un autre, l’auditorium du Musée des civilisations noires s’est subitement vidé de ses penseurs. Au 3e jour du Colloque international sur l’œuvre de Franz Fanon, le dernier groupe de panel proposait, entre autres, une discussion sur «Féminismes africains et luttes de Décolonisation». Les interventions de plusieurs participantes ont toutefois révélé une frustration partagée. Pour elles, la colonisation dont parle Fanon n’est pas une abstraction théorique : elle est vécue dans les corps, dans les trajectoires et dans les expériences quotidiennes des femmes africaines. «La colonisation, nous l’avons tous vécue, hommes et femmes, dans nos corps. Il n’y a pas eu de séparation», rappelle Tabara Korka Ndiaye, militante féministe. Elle dénonce ainsi l’incapacité de certains cercles intellectuels à dialoguer réellement avec les femmes africaines et à écouter leurs priorités politiques. «Je ne comprends pas tous ces pseudo-intellectuels qui viennent nous parler de Fanon mais qui sont complètement incapables d’avoir des débats avec les femmes africaines, de les écouter, mais aussi d’entendre comment est-ce qu’on veut lutter, et quelles sont nos priorités», réagit, avec colère, Mme Ndiaye au moment où la salle n’était plus occupée que par des femmes et une petite poignée d’hommes.
Lissel Quiroz, professeur d’histoire à l’université de Cergy en France et dont la communication a porté sur «Penser Fanon en perspective féministe décoloniale», juge que Fanon avait une perspective androcentrée. «Fanon est un homme de son temps», juge-t-elle, en indiquant que les écrits de Fanon portent aussi les limites de leur époque et dans ses textes, le sujet révolutionnaire est avant tout masculin, et la femme noire n’y apparaît qu’en marge. Un constat qui, loin de disqualifier Fanon, appelle au contraire, selon elle, à un travail critique et contemporain d’appropriation de sa pensée. «Il nous revient de prolonger son combat, en y intégrant ce qu’il n’a pas pu ou su penser», insiste Mme Quiroz.
Au-delà des débats théoriques, c’est surtout l’organisation même du panel qui a été vivement critiquée. Placée en fin de journée, dans un format restreint, cette session a donné l’impression d’un féminisme relégué à un rôle de caution symbolique. En l’absence de Marema Touré, modératrice désignée du panel et qui s’est excusée, une intervenante non féministe, se définissant uniquement comme «femme africaine» et membre de la Société civile, a été présentée comme voix représentative, suscitant incompréhension et colère. «Parler des femmes ne signifie pas automatiquement adopter une position féministe», rappelle Tabara Korka Ndiaye, pour qui le féminisme est un cadre politique, une analyse des rapports de pouvoir liés au genre. Malgré ces moments d’incompréhension, les échanges ont rappelé la valeur historique des luttes féminines au Sénégal. Des résistances précoloniales à la marche des femmes de Thiès en 1947, en passant par les mouvements féministes structurés des années 1970 comme Yeewu Yeewi, les femmes ont toujours été actrices des transformations sociales et politiques. Elles ont participé aux luttes de libération, pris les armes lorsque nécessaire, et continuent de se battre pour des droits fondamentaux.
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