S’il suffisait de maîtriser Fanon pour améliorer les conditions de vie des Sénégalais, Ousmane Sonko serait, sans l’ombre d’un doute, le meilleur Premier ministre de l’histoire du pays. Mercredi passé, au Musée des civilisations noires, le Premier ministre a prononcé un discours vibrant lors de l’ouverture du Colloque international marquant le centenaire de la naissance de Frantz Fanon (1925-1961). Représentant le Président Bassirou Diomaye Faye, Sonko a transformé cette cérémonie commémorative en un véritable manifeste politique panafricaniste, invoquant l’héritage du penseur anticolonial pour appeler à une décolonisation totale de l’Afrique. Dans un contexte sénégalais marqué par une vague souverainiste, ce discours résonne comme un écho direct aux réformes en cours sous le gouvernement Pastef.

Par Malick GAYE – Le Sénégal de fin 2025 vit une accélération de son projet de «rupture» avec les héritages néocoloniaux. Le Président Faye annonçait, dans son message de Nouvel an, la fin de toutes les présences militaires étrangères sur le sol sénégalais dès 2025, confirmant la fermeture pro­gressive des bases, notamment françaises. Cette décision, attendue depuis les promesses électorales de 2024, s’inscrit dans une doctrine de coopération défense redéfinie, privilégiant la souveraineté nationale face aux pressions géopolitiques. Paral­lèlement, les débats sur la souveraineté monétaire s’inten­sifient, avec des critiques récurrentes contre le franc Cfa et la réforme inachevée de l’Eco, perçue comme un simple «rebranding» de la dépendance. C’est dans ce climat que Sonko s’est adressé à un auditoire international -ministres, dé­putés, diplomates et intellectuels venus d’Afrique, des Caraïbes, du Maghreb, d’Europe et d’Amé­rique du Nord. «Il y a cent ans, en 1925, naissait, à Fort-de-France, un enfant auquel nul n’aurait pu prédire un destin si singulier. Frantz Fanon n’a vécu que trente-six années, mais trente-six années d’une intensité telle que le monde n’a pas encore fini d’en recevoir la secousse», a-t-il lancé, soulignant que la pensée de Fanon reste «brûlante, indispensable», car «notre siècle n’a pas encore guéri des bles­sures qu’il avait su nommer».
Le Premier ministre a structuré son intervention autour de trois visages de Fanon : le psychiatre de la désaliénation, le théoricien politique de la rupture souverainiste et l’humaniste porteur d’un «homme neuf». Il a insisté sur les ravages psychiques du colonialisme, appelant à une «politique publique de désa­liénation» pour revaloriser lan­gues, cultures et imaginaires africains. Passant au politique, Sonko a dénoncé la «trahison» des bourgeoisies nationales pos­tcoloniales, qui ont confisqué les indépendances en recon­duisant des structures dépen­dantes.
En finir avec le
franc Cfa
Une large partie du discours a été consacrée à la souveraineté économique et monétaire. «Une monnaie servile produit une mentalité servile», a-t-il affirmé, critiquant le franc Cfa comme un «instrument de contrôle» et qualifiant la réforme de l’Eco de changement symbolique insuf­fisant. «Aucune dignité n’est possible sans souveraineté écono­mique, et aucune sou­veraineté économique sans souveraineté monétaire», a-t-il martelé, plaidant pour une rup­ture réelle malgré les com­plexités.
Sonko a également salué le rôle de la diaspora africaine dont les transferts financiers dépassent l’aide au développement, la qualifiant d’«avant-garde» dans un monde en recomposition géopolitique. Il a lié ces thèmes aux actions du gouvernement : révélation de finances publiques opaques, lutte contre la cor­ruption, refus des accords léonins et des pressions exté­rieures, y compris militaires. «Nous ne commémorons pas Fanon, nous le continuons», a-t-il déclaré, affirmant que les réformes actuelles -sobriété au pouvoir, transparence, redres­sement national- s’inscrivent dans l’esprit fanonien de «Jub-Jubal-Jubanti». Ce discours renforce l’image du gouver­nement Faye-Sonko comme porteur d’un souverainisme assumé. «Chaque génération doit découvrir sa mission, l’accomplir ou la trahir», a cité Ousmane Sonko «Fanon».
En déclarant ouvert le colloque, qui se poursuit jusqu’au 20 décembre avec des panels sur la dignité, les alternatives décoloniales et la position afri­caine dans le monde multi­polaire, Sonko a conclu : «Tant qu’il y aura des damnés de la terre, Fanon restera vivant.» A l’heure où le Sénégal ferme ses bases étrangères et questionne ses chaînes monétaires, cet hommage à Fanon apparaît comme un levier pour achever ce que le penseur martiniquais avait commencé : une Afrique sou­veraine, désaliénée et actrice de son destin.
mgaye@lequotidien.sn